La variation interne

En linguistique variationniste, la variation peut s'expliquer à partir de deux types de facteurs : les facteurs internes à la langue (directement liés à celle-ci) et les facteurs externes à la langue (directement liés aux locuteurs). Attachons-nous d'abord à la variation interne à la langue.

En français, on peut employer deux formes de futur, le futur périphrastique et le futur synthétique, comme dans les exemples suivants :

1) demain, je vais regarder le match de hockey (futur périphrastique) ;

2) demain, je regarderai le match de hockey (futur synthétique).

Bien entendu, on peut utiliser ces deux formes dans des phrases négatives.

1) demain, je ne vais pas venir avec toi (futur périphrastique) ;

2) demain, je ne viendrai pas avec toi (futur synthétique).

Bien que l'on puisse avoir l'impression que l'emploi de ces deux formes de futur relève du hasard, plusieurs linguistes (voir notamment Emirkanian et Sankoff (1985)[1] [2], Sankoff et Wagner (2006)[2]) ont fait le constat contraire : « [...] le contexte négatif demeure [...] la chasse gardée du futur synthétique. » Blondeau (2006, p. 92)[3]. Autrement dit, on aura donc tendance à dire, en français québécois :

1) demain, je vais regarder le match de hockey (futur périphrastique) ;

2) demain, je ne regarderai pas le match de hockey (futur synthétique).

Ici, la variation linguistique (l'usage d'une forme de futur ou de l'autre) est donc dépendante du contexte négatif ou positif de la phrase. C'est l'emploi de la négation qui déclenche l'utilisation du futur synthétique.

En français mitchif, Papen et Bigot (2010)[4] ont souligné une corrélation similaire entre l'emploi de la négation et l'usage de la forme irrégulière « sontaient ». Les locuteurs de cette variété de français ont donc tendance à dire :

1) Ils n'étaient pas partis au cinéma.

ET

2) Ils sontaient partis au cinéma.

Nous verrons dans le module 3 que la variation entre les deux formes « étaient » et « sontaient » relève également d'autres facteurs. Retenons pour le moment que l'emploi d'une forme ou de l'autre s'explique en fonction d'au moins un facteur interne, celui de la négation.

La polarité de la phrase (c'est-à-dire l'opposition entre une phrase positive et une phrase négative) n'est, bien entendu, pas nécessairement le facteur interne permettant d'expliquer la variation en général. Dans certains cas, le contexte phonologique peut être un facteur interne important. Nous verrons, par exemple, dans le module 3, que certains locuteurs francophones de la Saskatchewan assibilent davantage sur /d/ que sur /t/.

Il existe bien d'autres facteurs internes, et ce en français, comme dans d'autres langues. À ce sujet, l'ouvrage de Labov (1994)[5] montre combien la variation interne est riche et peut être complexe à étudier. Ceci n'est cependant pas l'objectif du cours et nous nous contenterons de nous arrêter à ce niveau d'introduction.

Attention

Dans l'étude sur l'alternance entre les deux formes de futur, la forme du futur synthétique est désignée comme étant la variable dépendante, la polarité de la phrase étant la variable indépendante.

Dans l'étude sur l'alternance entre étaient et sontaient, la forme sontaient est désignée comme étant la variable dépendante, la polarité de la phrase étant la variable indépendante.