Présentation du phénomène

Le phénomène de l'assibilation des consonnes /t/ et /d/ peut se résumer de la façon suivante :

1) lorsque /t/ précède les voyelles [i], [y] et les semi-voyelles [j] et [ɥ], il est suivi d'un léger [s], c'est-à-dire que contrairement au français hexagonal, le passage de la consonne /t/ à la voyelle suivante passe par une restriction de la langue vers le palais qu'on entend comme un [s]. Sa prononciation devient alors [ts] (que l'on retrouve également sous la forme [ʦ]) comme dans [liteʀatsyʀ] « littérature », [pətsi] « petit », [metsje] « métier » et [tsɥɪl] « tuile », par opposition à une prononciation plus internationale (sans assibilation) [liteʀatyʀ], [pəti], [metje] et [tɥɪl], que l'on retrouve, par exemple, dans les dictionnaires usuels tels que le Petit Robert, le Larousse, etc.

2) lorsque /d/ précède les voyelles [i], [y] ou les semi-voyelles [j] et [ɥ], il est suivi d'un léger [z]. Sa prononciation devient alors [dz] (que l'on retrouve également sous la forme [ʣ]) comme dans [ʒødzi] « jeudi », [dzylɛ] « du lait », [dzjɛt] « diète » et [dzɥɛl] « duel », par opposition à une prononciation plus internationale (sans assibilation) [ʒødi], [dylɛ], [djɛt] et [dɥɛl] que l'on retrouve, là encore, dans les dictionnaires usuels tels que le Petit Robert, le Larousse, etc.

Ce phénomène a déjà fait l'objet de nombreuses recherches. Lorsque l'on réalise une étude comme celle que nous observons en ce moment, il convient de résumer les résultats des recherches publiées antérieurement. Cela permet par la suite d'établir des liens avec les données recueillies à partir de notre propre corpus. Les résultats des études antérieures portant sur l'assibilation de /t/ et /d/ sont donc les suivants :

Selon Walker (1984)[1], Dumas (1987)[2], Ostiguy et Tousignant (2008)[3] ou encore Kim (2001)[4], le phénomène est catégorique au Québec devant les voyelles [i], [y] et les semi-voyelles [j] et [ɥ].

Pour Ostiguy et Tousignant (2008)[3] et Côté (2011)[5], la règle est variable lorsque les occlusives et les voyelles qui les suivent appartiennent à deux mots différents (comme dans « vingt-huit »), sauf si l'un des deux mots est un pronom clitique (c'est-à-dire un pronom directement rattaché au verbe) comme dans « dit-il ».

Selon Tremblay (1990)[6], l'assibilation, au Québec, est un phénomène qui passe inaperçu. Il serait donc généralisé dans toutes les couches sociales.

Pour Cox (1998)[7] et Bigot et Papen (2013)[8], l'assibilation fait même partie de la norme de prononciation du Québec et plus généralement du français parlé au Canada.

Enfin, l'étude de [9] Bento (1998)[9] précise plusieurs éléments importants :

a. La fréquence du phénomène peut varier d'une région à l'autre. Par exemple, il existe une différence de fréquence entre les locuteurs provenant de la ville de Québec, qui assibilent davantage que ceux provenant de la petite ville de Chicoutimi.

b. Les femmes ont tendance à assibiler moins que les hommes.

c. Certains locuteurs assibilent moins en situation de lecture qu'en situation de discours spontané.

d. L'assibilation se produit plus systématiquement sur /t/ que sur /d/.

Concernant l'assibilation dans l'Ouest canadien, les résultats sont les suivants :

L'assibilation est attestée à Maillardville (en Colombie-Britannique) par Ellis (1965)[10]. McDonald (1968)[11] constate d'ailleurs, tout comme Bento (1998,)[9] qu'elle n'est pas aussi systématique sur /d/ que sur /t/.

Rochet (1994)[12] et Walker (2003)[13] attestent la présence du phénomène en Alberta.

Rochet (1994)[12] note également que l'assibilation est rare entre deux mots.

Walker (2005)[14] fait remarquer que le phénomène semble nettement plus variable et moins prononcé qu'en français québécois.

Jackson (1974)[15] démontre que si l'assibilation est présente chez certains locuteurs de Willowbunch, en Saskatchewan; elle n'est cependant pas systématique.

Thogmartin (1974)[16] atteste l'assibilation chez les locuteurs d'origine canadienne-française établis au Manitoba.

Enfin, Papen (1993)[17] note que le phénomène d'assibilation est remplacé par une affrication palatale [tʃ dʒ] (que l'on retrouve également sous la forme [ʧ] et [ʤ]) en français mitchif.

Les résultats des études qui ont été publiées jusqu'à présent montrent donc que le phénomène de l'assibilation des consonnes /t/ et /d/ varie clairement d'une variété à l'autre, et qu'il dépend également de plusieurs facteurs internes et externes à la langue. Nous verrons dans quelques instants les variables internes et externes qui rendent compte de sa fréquence chez certains locuteurs fransaskois. Toutefois, présentons d'abord les principaux points méthodologiques de notre enquête menée à Prince Albert.