Les consonnes

Les consonnes du français laurentien
Informations[1]

Les phonèmes consonantiques du français de l'Ouest ne diffèrent pas sensiblement de ceux du français de référence, à l'exception près que le /h/ est prononcé dans certains mots (la liste est plus ou moins fermée) comme « hache », « honte », « dehors », « haut », etc., et que la réalisation phonétique précise de la vibrante /ʀ/ est très variable. Chez la plupart des locuteurs aînés, elle se réalise presque toujours en un [r] apical alvéolaire (ou dental). C'est d'ailleurs là un des traits conservateurs du français de l'Ouest, puisque c'était ainsi qu'on le prononçait traditionnellement dans tout l'ouest du Québec.

Chez les plus jeunes, on entend de plus en plus la vibrante uvulaire [ʀ] ou même la fricative vélaire [ʁ], sans doute sous l'influence de l'école, où de nombreux professeurs québécois enseignent, et qui utilisent en général ces variantes, devenues presque systématiques au Québec contemporain. Chez les locuteurs dont le français n'est pas la langue dominante, on entend souvent la variante battante [ɾ] de l'anglais, du moins lorsqu'elle est en position initiale de mot.

Chez tous les locuteurs, on entend également l'approximante alvéolaire [ɹ], surtout associée à l'anglais. Ainsi, c'est cette variante qu'on entend dans des mots empruntés à l'anglais comme starter ‘démarreur', flirt, card ‘carte', hamburger, etc. Ajoutons finalement une dernière variante, le ‘r vocalisé' qui n'apparaît qu'en fin de mot. Dans ce cas, la consonne n'est pas vraiment articulée et on entend surtout un changement de timbre de la voyelle qui précède. Ainsi, des mots comme « peur », « faire », « nord », etc., peuvent être prononcés [pawː], [fajː], [nawː]. Cette prononciation est également connue au Québec.

Tout comme au Québec, les occlusives dentales /t/ et /d/ deviennent des affriquées alvéolaires [ʦ] et [ʣ] devant les voyelles antérieures /i/ et /y/, ainsi que devant les glides antérieurs /j/ et /ɥ/ : « tu dis ‘tuile' et ‘d'huile » se prononce [ʦyʣiʦɥɪleʣɥɪl]. Cette assibilation est presque systématique au Québec, même chez les élites, et le phénomène passe totalement inaperçu. Par contre, si tous les linguistes qui ont étudié les parlers des provinces de l'Ouest attestent l'assibilation ( Ellis, 1965[2] et McDonald, 1968[3] pour la Colombie-Britannique; Rochet, 1993[4] et 1994[5] et Walker, 2005a[6] pour l'Alberta, Jackson, 1974[7] et Papen et Bigot, 2014[7] pour la Saskatchewan; Thogmartin (1974)[8] pour le Manitoba), ils soulignent également qu'elle est beaucoup plus variable dans l'Ouest qu'au Québec ( Bento, 1998[9]). Selon Walker (2005a)[6], ceci reflète tout probablement la situation qui prévalait au Québec à la fin du XIXe siècle et au début du XXe, où l'assibilation n'était probablement pas aussi fréquente qu'elle ne l'est aujourd'hui.

On prononce un certain nombre de mots avec un [t] final : « fait » [fɛt], « icitte » [ɪsɪt], « tout » [tʊt], « pantout » (‘pas du tout') [pɑ᷉tʊt], « frette » (‘froid') [fʀɛt], « drette » (‘droit') [dʀɛt], etc. Ce phénomène est également connu au Québec et en Ontario.

Dans le parler vernaculaire, tant au Québec qu'à l'ouest du Québec, on a tendance à réduire les groupes consonantiques finals. Les mots se terminant par une occlusive suivie d'une liquide (/ʀ/ ou /l/) perdent la liquide : « aveugle » [avœg], « faisable » [fǝzab], « perdre » [pɛʀd], etc. Les groupes constitués de /s/, suivi d'une autre consonne, suivi ensuite d'une liquide se réduisent au simple /s/ : « ministre » [mɪnɪs], « piastre » [pjas] et finalement, dans des groupes de deux occlusives ou d'une fricative suivie d'une occlusive, la seconde consonne tombe : « architecte » [aʀʃitɛk], « à l'est » [alɛs], « juste » [ʒʏs], etc.

Il existe également un certain nombre de prononciations consonantiques qui sont relativement variables, typiques surtout du parler populaire ou vernaculaire. Toutes ces prononciations sont attestées au Québec :

• La palatalisation de /t,d/ et de /k,g/ : « moitié » [mɔkje], « diable » [gjab], « bon dieu » [bɔ᷉jø], « culotte » [ʧylɔt], « drogue » [dʀɔj];

• La chute d'un /f/ final dans certains mots : « bœuf » [bø], « neuf » [nø];

• La métathèse de /rǝ/ et /lǝ/ : « creton » [kœʀtɔ᷉], « grenouille » [gǝʀnʊj] ou [gɔʀnʊj], « le gars » [ǝlgɔ];

• La vélarisation de /ɲ/ final en [ŋ] : « signe » [sɪŋ], « beigne » [bɛŋ], « cogne » [kɔŋ], etc.

• L'assimilation des consonnes occlusives sonores finales, précédées d'une voyelle nasale : une consonne occlusive sonore finale (/b,d,g/) deviendra une consonne nasale avec le même lieu d'articulation lorsqu'elle est précédée d'une voyelle nasale : « tombe » [tɔ᷉m], « bande » [bɑ᷉n], « langue » [lɑ᷉ŋ], etc.

Chez certains locuteurs dont le français n'est plus la langue dominante, on entend bien l'influence de l'anglais dans la réalisation des consonnes occlusives sourdes (/p,t,k/) en initiale de mot puisque ces consonnes tendent à être réalisées avec une certaine aspiration [ph], [th], [kh], comme dans « pas » [phɔ], « tas » [thɔ], « cas » [khɔ], etc.

Le français mitchif se démarque du parler des Canadiens français de l'Ouest (et donc de ceux du laurentien en général) par deux traits consonantiques. Si dans les provinces de l'Ouest les /t/ et les /d/ peuvent être assibilés devant les voyelles et les glides antérieurs, en français mitchif, la tendance est surtout à l'affrication palatale. C'est même devenu un marqueur identitaire des Métis. On prononcera donc « métis » [mɪʧɪs] (ou, bien sûr, [mɪʧɪf]),« dimanche » [ʤimɑ᷉ʃ], « jeudi » [ʒøʤi], « bon dieu » [bɔ᷉ʤø], etc. Soulignons néanmoins que ce n'est pas seulement les Métis francophones qui utilisent une affriquée palatale plutôt qu'une affriquée alvéolaire. Selon plusieurs chercheurs ( Tassé, 1981[10]; Dumas, 1987[11]), les locuteurs de la Beauce, au Québec, le font aussi. Cela ne veut pas dire que les deux phénomènes sont liés, car la majorité des coureurs de bois qui se sont rendus dans l'Ouest canadien durant la période de la traite des fourrures et qui ont donné naissance au français mitchif ne venaient pas en majorité de la Beauce, mais plutôt des villages entre Trois-Rivières et Montréal (par exemple, Maskinongé) sur la rive nord du Saint-Laurent et de la région de Sorel ou de Gentilly, sur la rive sud.

Le second trait typique des Métis varie énormément selon les locuteurs. Il s'agit du phénomène d'harmonie consonantique. Pour certains locuteurs, si un mot contient deux consonnes fricatives, celles-ci doivent nécessairement se prononcer au même lieu d'articulation. Ainsi, un mot comme « chaise » se prononcera [sɛz], et « sécher » se prononcera soit [sɛse] « soit » [ʃɛʃe].