Présentation du phénomène

Dans de nombreuses variétés de français, la première personne du singulier du verbe « aller » peut apparaître sous diverses formes, comme dans les exemples suivants (notons que le « e » caduc de chaque pronom personnel a été supprimé, afin de refléter davantage une prononciation spontanée):

1. J'vais [ʒvɛ] à l'école ;

2. J'vas [ʒvɑ] à l'école ;

3. J'm'en vais [ʒmɑ̃vɛ] à l'école ;

4. J'm'en vas [ʒmɑ̃vɑ] à l'école.

De plus, lorsque le verbe « aller » est employé comme semi-auxiliaire (c'est-à-dire suivi d'un infinitif), une cinquième forme a été attestée :

5. M'as [mɑ] manger une pomme.

Il faut noter que cette dernière forme n'est pas attestée à l'écrit. La forme m'as a donc été transcrite orthographiquement ainsi, par convention.

Comme le soulignent Mougeon, Hallion Bres, Papen et Bigot (2010)[1], plusieurs études reposant sur des corpus de français ontarien ont déjà attesté les variantes j'vais/j'vas/j'm'en vais/j'm'en vas/m'as employées comme auxiliaire ( Mougeon (1996)[2]; Mougeon et Beniak (1991)[3]; Mougeon, Beniak et Walli (1988)[4]; Mougeon, Nadasdi et Rehner (2009)[5]). Ces études sont évidemment pertinentes dans le cadre de ce cours, car elles nous offrent la possibilité d'établir des comparaisons entre leurs résultats et ceux que nous observerons dans le corpus de français manitobain.

Résumons rapidement les résultats de ces études.

En ce qui concerne les facteurs linguistiques :

• Fréquence marginale des variantes j'm'en vais et j'm'en vas ( Mougeon (1996)[2]; Mougeon, Nadasdi et Rehner (2009)[5]);

• Association entre m'as et le futur (ex : ce soir, m'as aller au cinéma) et entre j'vas et l'habituel (ex : tous les soirs, j'vas jouer au hockey avec mes amis) ( Mougeon, Nadasdi et Rehner (2009)[5]).

En ce qui concerne les facteurs extralinguistiques :

• Association entre m'as et les locuteurs des couches populaires, entre j'vais et les locuteurs des couches sociales supérieures et neutralité sociale de j'vas ( Mougeon (1996)[2]; Mougeon, Beniak et Walli (1988)[4]) ;

• Association entre j'vas et les locuteurs des couches populaires et entre j'vais et les locuteurs des couches sociales supérieures ( Mougeon, Nadasdi et Rehner (2009)[5]).

• Association entre j'vas et les locuteurs adolescents des couches sociales supérieures et les locuteurs de sexe féminin, et entre m'as et les locuteurs des couches sociales populaires ( Mougeon, Nadasdi et Rehner (2009)[5]).

Selon Mougeon, Hallion Bres, Papen et Bigot (2010)[1], certaines tendances lourdes peuvent être dégagées :

i) marginalité discursive des formes pronominales de l'auxiliaire aller ;

ii) corrélation entre l'emploi de la variante m'as et l'appartenance aux couches sociales basses ;

iii) corrélation entre l'emploi de la variante j'vais et les locuteurs des couches sociales supérieures ;

iv) perte de la neutralité sociostylistique de j'vas lorsque l'une ou l'autre de ses deux concurrentes est marginale ou absente dans le parler local : a) lorsque m'as est marginal ou absent j'vas est associé au parler des couches populaires et b) lorsque j'vais est marginal ou absent j'vas est susceptible d'être associé au parler des locuteurs des couches sociales élevées.

Passons maintenant à la méthodologie.