Discussion

Nous avons vu en introduction que l'alternance entre les formes j'vais vs j'vas vs m'as avait déjà fait l'objet de plusieurs études. À la lumière des résultats que nous avons examinés, il convient donc d'essayer de tirer des conclusions sur l'emploi de ces trois variantes dans le corpus franco-manitobain.

Rappelons que selon Mougeon, Hallion Bres, Papen et Bigot (2010)[1], certaines tendances lourdes peuvent être dégagées des études antérieures :

i) la marginalité discursive des formes pronominales de l'auxiliaire aller ;

ii) la corrélation entre l'emploi de la variante m'as et l'appartenance aux couches sociales populaires ;

iii) la corrélation entre l'emploi de la variante j'vais et les locuteurs des couches sociales supérieures ;

iv) la perte de la neutralité sociostylistique de j'vas lorsque l'une ou l'autre de ses deux concurrentes est marginale ou absente dans le parler local : a) lorsque m'as est marginal ou absent j'vas est associée au parler des couches populaires et b) lorsque j'vais est marginal ou absent j'vas est susceptible d'être associée au parler des locuteurs des couches sociales élevées.

Quels sont maintenant les éléments de convergence et de divergence entre ces tendances lourdes et les résultats obtenus à partir du corpus franco-manitobain ?

- Tout d'abord, les formes pronominales j'm'en vais et j'm'en vas sont rares en français manitobain, puisque seulement cinq occurrences ont été relevées dans le corpus. Ce constat va dans le même sens que la première tendance lourde observée ci-haut.

- La forme j'vais est caractéristique des femmes, des locuteurs les plus éduqués, ainsi que des personnes âgées de moins de 25 ans. Le fait que cette forme soit caractéristique des femmes n'est pas une surprise, car comme nous l'avons vu dans le module 1 (notamment avec le principe 2 de Labov (2001)[2]), ces dernières ont tendance à utiliser davantage les formes standard que les hommes, du moins quand la variation est stable. Nous avons également vu dans le module 1 que les locuteurs les plus éduqués tendent davantage vers les variantes normatives plutôt que vernaculaires. Il est donc normal que j'vais soit associée à cette catégorie de locuteurs du corpus franco-manitobain. Notons enfin que si cette forme est associée aux locuteurs les plus jeunes, c'est parce que la grande majorité d'entre eux ont un niveau d'éducation universitaire. L'association entre la variante j'vais et cette catégorie d'âge n'est donc pas le fruit d'un éventuel changement linguistique.

- La variante j'vas est davantage caractéristique des locuteurs les moins éduqués du corpus de français manitobain. Étant donné que m'as est particulièrement marginal dans notre corpus, j'vas perd sa neutralité sociostylistique et la tendance lourde (iv) relevée par Mougeon, Hallion Bres, Papen et Bigot (2010)[1] se retrouve naturellement en français manitobain.

- Enfin, on notera un dernier élément de convergence entre nos résultats et ceux des études antérieures. En effet, la forme m'as, bien que très peu employée dans le corpus, est davantage utilisée au futur qu'à l'habituel, ce qui semble confirmer les résultats de Mougeon, Nadasdi et Rehner (2009)[3].