Analyse des facteurs externes

Maintenant, examinons ensemble les données concernant les facteurs externes.

Tableau 4 : Résultats généraux

Variables internes

[wa]

[wɑ]

[wɔ]

n/N

%

Eff.

n/N

%

Eff.

n/N

%

Eff.

- oi (toi)

19/24

79,2

0,96

5/24

20,8

0,22

0/24

0

KO

- ois (3,23,33)

2/72

2,8

0,18

37/72

51,4

0,53

33/72

45,8

NA

- oir (avoir)

7/24

29,2

0,76

17/24

70,8

0,72

0/24

0

KO

trois

1/24

4,2

NS

10/24

41,7

NS

13/24

54,2

NS

vingt-trois

1/24

4,2

14/24

58,3

9/24

37,5

trente-trois

0/24

0

13/24

54,2

11/13

45,8

Variables externes

Hommes

12/55

21,8

NS

24/55

43,6

NS

19/55

34,5

NS

Femmes

16/65

24,6

35/65

53,8

14/65

21,5

Supérieur

22/80

27,5

NS

43/80

53,8

NS

15/80

18,8

0,40

Inférieur

6/40

15

16/40

40

18/40

45

0,70

Franco-dominants

6/30

20

NS

11/30

36,7

NS

13/30

43,3

NS

Bilingues-équilibrés

15/50

30

27/50

54

8/50

16

Anglo-dominants

7/40

17,5

21/40

52,5

12/40

30

Aînés

11/55

20

NS

29/55

52,7

NS

15/55

27,3

NS

Adultes

11/45

24,4

18/45

40

16/45

35,6

Jeunes-adultes

6/20

30

12/20

60

2/20

10

L'analyse des facteurs externes permet de souligner les deux observations suivantes. Les réalisations en [wa] et [wɑ] ne sont déterminées par aucune des variables externes. Seule la réalisation en [wɔ] apparaît comme étant typique des locuteurs appartenant à la classe sociale inférieure. En effet, on distingue une nette prédominance de ces derniers à réaliser [wɔ] avec 45% des occurrences pour un effet de 0,70 contre 18,8% et un effet de 0,40 pour les locuteurs de la classe supérieure.

Afin d'expliquer nos résultats, nous avons effectué une analyse des pratiques individuelles exposée dans le tableau suivant.

Tableau 5 : Pratiques individuelles de la prononciation de trois

Locuteur/mot

trois

vingt-trois

trente-trois

HCET1

[wɑ]

[wɑ]

[wɑ]

FCEA3

[wɑ]

[wɑ]

[wɑ]

FCET1

[wɑ]

[wɑ]

[wɑ]

FCAJ1

[wɑ]

[wɑ]

[wɑ]

FCFA2

[wɑ]

[wɑ]

[wɑ]

HCAJ1

[wɑ]

[wɑ]

[wɑ]

FCEA2

[wɑ]

[wɑ]

[wɑ]

HSFA1

[wɔ]

[wɔ]

[wɔ]

HSFA2

[wɔ]

[wɔ]

[wɔ]

HSAT1

[wɔ]

[wɔ]

[wɔ]

HSAT2

[wɔ]

[wɔ]

[wɔ]

FSAT2

[wɔ]

[wɔ]

[wɔ]

FCET2

[wɔ]

[wɔ]

[wɔ]

FCFT1

[wɔ]

[wɔ]

[wɔ]

HCFA1

[wɔ]

[wɔ]

[wɔ]

HCEJ1

[wɔ]

[wɑ]

[wɑ]

FSAA1

[wɔ]

[wɑ]

[wɑ]

FSAT1

[wɔ]

[wɑ]

[wɑ]

HCEA1

[wɔ]

[wɑ]

[wɑ]

HCEJ2

[wɑ]

[wɑ]

[wɔ]

FCFA1

[wɑ]

[wɑ]

[wɔ]

FCET3

[wa]

[wa]

[wɑ]

FCEA1

[wɔ]

[wɑ]

[wɔ]

HSAA1

[wɑ]

[wɔ]

[wɑ]

Note : H = homme/F = femme, C = cols blancs/S = cols bleus, F = franco-dominant/E = équilibré/A = anglo-dominant, A = ainés/T = adultes/J = jeunes adulte

Le tableau ci-dessus donne la répartition de [wa] [wɑ] et [wɔ] pour chacun des 24 locuteurs. On remarque qu'il existe cinq types de distribution des voyelles en fonction du mot. Tout d'abord, on note la présence de deux groupes de locuteurs qui ne font pas varier la voyelle : le premier groupe emploie catégoriquement [wɑ] (les sept premiers locuteurs). Il faut noter que les locuteurs de ce groupe appartiennent tous à la classe supérieure, et que 5 des 7 locuteurs sont de sexe féminin. Ceci expliquerait donc l'absence de la variante vernaculaire [wɔ]. Le second groupe utilise systématiquement la variante vernaculaire [wɔ] (les huit locuteurs suivants). Sur les huit locuteurs de ce groupe, cinq appartiennent à la classe inférieure, ce qui explique leur réalisation en [wɔ]. Les trois autres locuteurs sont de la classe supérieure (FCET2, FCFT1 et HCFA1). Cependant, deux de ces trois locuteurs (FCFT1 et HCFA1) sont issus de familles d'agriculteurs, et on peut formuler l'hypothèse qu'en dépit de leur statut social, ils affichent leur origine en maintenant la variante vernaculaire, en guise de marqueur identitaire.

Le troisième groupe réalise trois en [wɔ], mais vingt-trois et trente-trois en [wɑ]. Est-il possible que la différence de prononciation soit due au fait que le premier mot est monosyllabique alors que les deux autres sont dissyllabiques ? Étant donné que le mot trois arrive très tôt dans la liste, il est aussi possible que ces quatre locuteurs aient pris conscience du degré de formalité de la tâche plus tardivement que les autres, prononçant donc les mots vingt-trois et trente-trois en [wɑ], prononciation standard québécoise.

Les deux locuteurs suivants semblent fonctionner à l'inverse des quatre personnes précédentes, en ce qu'ils réalisent les deux premiers termes en [wɑ], mais le troisième et dernier en [wɔ]. Est-ce possible que leur degré d'attention ait subitement diminué vers la fin de la liste, déclenchant ainsi l'emploi de la variante vernaculaire ?

Les trois derniers locuteurs semblent varier dans l'emploi des trois variantes de manière aléatoire. Toutefois, soulignons les éléments suivants. La première locutrice varie entre les deux variantes socialement neutres [wa] et [wɑ]. Cette personne est orthopédagogue à l'école française de Prince Albert, ce qui pourrait expliquer qu'elle soit la seule à utiliser le A antérieur. La locutrice suivante (FCEA1) emploie [wɔ] sur trois et trente-trois, mais [wɑ] sur vingt-trois. Ceci est étonnant, car c'est une locutrice qui n'assibile jamais. Peut-on envisager l'hypothèse que cette personne considère l'assibilation comme étant plus stigmatisée que la réalisation en [wɔ] dans un mot comme trois ? Il se peut également que cette variation soit due plutôt au contexte familial qui l'entoure. Pour le moment, nous ne pouvons trancher. Enfin, en ce qui concerne le dernier locuteur qui emploie [wɑ] sur trois et trente-trois, mais [wɔ] sur vingt-trois, nous n'avons, pour le moment, aucune hypothèse pour expliquer cette variation qui semble être idiosyncrasique.