Conclusion

En ce qui concerne -oi(s,r), nous avons vu que les variantes utilisées par les locuteurs du corpus de Prince Albert ne différaient pas de celles connues au Québec et dans l'Ouest canadien. Certaines variantes typiquement vernaculaires ne sont cependant pas attestées, ce qui ne devrait pas nous étonner étant donné la tâche particulièrement formelle à partir de laquelle nous avons obtenu nos données. Nous n'avons relevé aucun cas de [we] pour des mots comme moi, toi, etc. et aucun cas de diphtongue en [wae] ou [wau] dans des mots comme avoir. Ces deux variantes sont d'ailleurs celles qui sont les plus sévèrement critiquées au Québec ( Ostiguy et Tousignant, 2008[1]). Comme on pouvait s'y attendre, le contexte interne (-oi, -ois, -oir) joue un rôle déterminant dans le choix de la variante, tout comme au Québec. Le seul facteur externe qui semble véritablement influencer est celui de la classe sociale. Les membres de la classe ouvrière utilisent davantage la variante populaire [wɔ], variante que l'on ne retrouve que dans trois, vingt-trois et trente-trois.

Par ailleurs, on a constaté qu'il semblait exister de variation intra-locuteur et que ni les facteurs internes ni les facteurs externes n'arrivent à expliquer cette variation de prononciation. En d'autres termes, il semble y avoir – du moins pour certains locuteurs – ce que l'on peut appeler de la variation « idiosyncrasique », ou ce que Dorian (1994)[2] appelle de la variation « personnelle ». L'explication pourrait venir du fait que certains locuteurs du corpus n'ont pas l'habitude de faire de la lecture à haute voix. Néanmoins, tous étaient plus ou moins conscients que l'exercice cherchait à produire chez eux le style le plus soigné. Rappelons que la nature de la tâche demandée (lecture de mots à haute voix) a sans doute suscité une autosurveillance accrue (mais peut-être à divers moments) et que les résultats obtenus ne reflètent probablement pas ce que ces locuteurs prononceraient en situation de conversation normale. Seule une analyse plus poussée des réalisations phonétiques à partir des entrevues nous permettrait de tirer un portrait plus réaliste de leur phonétisme.

Enfin, bon nombre de locuteurs du corpus sont très probablement incertains par rapport au niveau de prestige de certaines prononciations (telles que [wa]/[wɑ]/[wɔ] pour -oi(s,r)). Par conséquent, il est possible que leur incertitude par rapport au statut sociostylistique des variantes les pousse à utiliser diverses variantes pour le même « mot » (trois, vingt-trois, trente-trois).