L'alternance codique

Un dernier phénomène qu'on peut attribuer à l'influence de l'anglais sur le français tel que parlé dans les provinces à l'ouest du Québec est ce qu'on appelle l'alternance codique (code switching, en anglais). « L'alternance codique se produit quand un locuteur bilingue change de langue au sein d'une seule et même conversation » ( Walker, 2005a, p. 200[1]). Cette alternance implique la juxtaposition de phrases ou de parties de phrases, chacune d'elles étant cohérente avec les règles morphologiques et syntaxiques (et optionnellement, phonologiques) de la langue source. L'alternance codique est beaucoup plus fréquente chez les jeunes locuteurs que chez les plus vieux, même si ceux-ci sont également bilingues. L'analyse de l'alternance codique n'est pas de tout repos, car il est souvent difficile de distinguer entre les alternances et les emprunts non-assimilés, et la distinction demeure controversée. En général, les mots en isolation sont toujours considérés comme des emprunts mais même là, des séquences de mot doivent être analysées comme des emprunts plutôt que comme des alternances, surtout si elles sont précédées d'une marque d'hésitation ou un commentaire métalinguistique comme ‘comme on dit en anglais...' Ainsi, Walker (2005a, p. 199)[1] donne l'exemple suivant : faire du white water rafting (prononcé entièrement à l'anglaise) ‘faire de la descente en eau vive, du rafting'. Pour lui, c'est un cas d'emprunt plutôt que d'alternance codique, malgré sa longueur, parce que l'expression a le statut de mot composé et parce que la séquence est phonétiquement et morphologiquement intégrée, sans pause dans la phrase.

Les alternances codiques peuvent se trouver à l'intérieur d'une même phrase, d'une même conversation ou d'un même échange discursif et elles peuvent concerner un syntagme, une proposition, une phrase ou même plusieurs phrases. Seront considérées des alternances intraphrastiques celles où l'alternance s'effectue à l'intérieur d'un même énoncé, d'une même phrase, alors que les alternances interphrastiques sont des passages d'une langue à l'autre à la frontière de la phrase ou de l'énoncé. Finalement, seront considérées comme des alternances extraphrastiques l'insertion dans la phrase d'expressions idiomatiques, de formes figées, d'interjections, pouvant être insérées à n'importe quel point de la phrase ( Borowski, 2010[2]). Voici quelques exemples, tirés de Walker (2005a)[1] :

• Alternance intraphrastique :

Une différence que de notre temps they like to be entertained à la place de entertain themselves.

Elle est en charge de euh (...) training program for Telus Edmonton.

• Alternance interphrastique :

OK...Ben...Une fois à l'école j'ai assis sur une chaise pis ça a brisé. And everybody laughed so I was totally embarrassed. Eh... Umm... Oui.

Je trouve les jeunes ils disent oh it's boring.

• Alternance extraphrastique :

Vraiment, I guess, il y avait des complications...

Remarque

Certains linguistes considèrent également comme alternance codique la situation où dans une conversation, un locuteur A produit un énoncé dans la langue A et que son interlocuteur B produit son énoncé en langue B. Nous considérons que c'est là un abus de la notion même d'alternance et que celle-ci devrait se limiter aux alternances produites par le même locuteur dans un même acte de parole.