Les fondements de la linguistique variationniste
Labov (1976)[1] propose d'aborder la linguistique sous une nouvelle perspective, par une observation sociale et stylistique à travers le « degré de conscience que les locuteurs ont des variantes présentes dans leur parler et dans celui des membres de leur communauté. »
Thibault (1997c, p. 285)[2]. L'objectif de ses travaux est de rendre compte de la structure des variations présentes à l'intérieur même d'une communauté linguistique.
La linguistique variationniste suppose qu'une mise en rapport quantifiée des phénomènes linguistiques et sociaux dans la structuration sociolinguistique est productive. Labov (1976)[1] distingue cependant les variations stables des changements en cours dans une communauté. Dans le premier cas, les facteurs sociaux ne jouent en aucun cas sur les phénomènes linguistiques. Ce sont des contraintes linguistiques, et non la diversité sociale, qui conditionnent la variation. Au contraire, les changements en cours au sein d'une communauté tendent à démontrer une variation linguistique dépendante des différences sociales (sexe, âge, classe sociale, etc.) entre les locuteurs.
Le programme labovien rend compte du contexte linguistique et discursif par le biais des caractéristiques sociales des individus. Ce dernier considère la langue comme un « système » dans la communauté linguistique
Thibault (1997c, p. 286)[2]. Il se distingue du programme chomskyen, qui définit la notion de « système » comme un ensemble de structures cognitives du cerveau humain. Malgré cette divergence, la sociolinguistique labovienne n'en est pas moins de la linguistique. Encrevé précise qu'« elle a le même domaine que la linguistique, la langue, et non pas un sous-territoire (dialectes sociaux, co-variation); elle a les mêmes tâches à remplir, l'étude scientifique de la langue »
(Encrevé, 1977, p. 4 cité dans
Thibault (1997c, p. 286)[2]).
La méthode variationniste met en relation directe des variables linguistiques (par exemple, l'utilisation partielle ou non de la négation « ne... pas », l'utilisation du tutoiement, etc.) et des variables extralinguistiques (le sexe, l'âge ou encore la classe sociale des individus) de manière quantitative. Les variables linguistiques sont sélectionnées et réparties au sein d'une communauté de locuteurs, et tiennent compte des diverses situations discursives. L'intérêt de cette méthode est manifeste. Elle permet, par exemple, de souligner des comportements différentiels entre des catégories sociales spécifiques (hommes/femmes, riches/pauvres, jeunes/vieux, etc.). Une stratification en classes sociales indiquera, par exemple, une hiérarchie de valorisation de certaines formes langagières. Une stratification en classes d'âges soulignera un éventuel changement en cours dans une communauté linguistique.
Selon Gadet (2003)[4], cette approche n'est pas sans poser de problèmes. Elle souligne à ce sujet que :
« Une présentation dichotomique des variables est de fait favorisée par la méthodologie, avec le double confort d'un social dichotomique et d'une conception de la langue qui semble convenir à la phonologie, mais qui, en syntaxe, soit ne traite que des phénomènes de niveau local, soit rabat les phénomènes de plus haut niveau sur des présentations simplifiées [...]. La question de l'interprétation (pourquoi ?) envahit souvent celle de la description (comment ?). »
Gadet (2003, p. 70)[4]
Elle précise, un peu plus loin, qu'« au-delà d'une première approche, beaucoup de choses risquent d'échapper aux statistiques et aux corrélations, dans les contraintes de langue et dans l'appréhension du social. »
Gadet (2003, p. 70)[4]. Concernant la détermination des catégories sociales, Gadet perçoit également « un risque de circularité, avec la tentation de faire de phénomènes linguistiques des indices de localisation spatiale, sociale ou situationnelle. »
Gadet (2003, p. 70)[4].
En dépit de ces éventuels problèmes, la linguistique variationniste a le mérite de soulever quelques questions spécifiques : tous les phénomènes linguistiques peuvent-ils s'inscrire dans une même démarche ? Participent-ils, de façon identique, à la construction d'une même identité sociale ? La mise en relation de ces deux types de manifestations permet-elle une nouvelle connaissance du social et du linguistique ? Devant cette approche, qui analyse la diversité des phénomènes linguistiques à partir de l'environnement social des locuteurs, on peut se demander si « faire de la linguistique variationniste » ne revient pas à « faire de la sociologie » ? Thibault (1997c, p. 286)[2]. De même, on se demande comment ne pas parler de « sociolinguistique variationniste » ? Citons Laks (1992)[5] afin de répondre à ces questions :
« Trois concepts clés forment le soubassement théorique de cette conception [...] : le changement linguistique, l'hétérogénéité des pratiques linguistiques et corrélativement des grammaires qui les modélisent, l'existence d'une variation réglée et contrainte par le système linguistique lui-même (la variation inhérente). [...] On remarque que ces trois concepts [...] proposent une caractérisation théorique minimale de la langue. En d'autres termes, la variation sociale n'est qu'une conséquence des caractérisations internes de la langue, et pour Labov aussi, la sociolinguistique, au sens étroit de description de cette variation sociale, n'est qu'une partie de la linguistique variationniste. »
(
Laks, 1992, p. 35[5] cité dans
Thibault (1997c, p. 286-287)[2])
Ainsi, contrairement à ce que nous avons exposé ci-dessus, la linguistique variationniste n'apparaît plus comme une discipline autonome de la sociolinguistique (au sens labovien). Selon Encrevé, elle devient l'ultime approche pour observer les corrélations entre des phénomènes linguistiques et la variation sociale.