Bonjour et bienvenue dans cette petite vidéo consacrée à l'influence de l'anglais sur le français laurentien. L'objectif de cette vidéo est de vous faire entendre quelques-uns des phénomènes présentés dans le cours.
En général, nous ne disposons pas de très nombreuses études portant sur l'influence de l'anglais sur la prononciation des locuteurs du français de l'Ouest canadien. Par contre, Rodriguez (2004, p. 105), traitant du phonétisme du français manitobain, précise : « ...que l'interférence avec l'anglais est rare sur les plans articulatoire et combinatoire, mais plus fréquente sur le plan prosodique. ». On note toutefois chez certains jeunes anglo-dominants de l'Ouest, une aspiration des consonnes occlusives sourdes, surtout en début de mot, et probablement à cause de l'influence de l'anglais.
Par ailleurs, selon les auteurs Mougeon et Beniak (1989a, p. 4), « la composante morphologique du français canadien hors Québec semble très résistant au transfert. ». Ils ont cependant observé l'emprunt de la préposition back, qui concurrence le morphème re- dans le sens de ‘retour' (par exemple : j'lui ai donné back son argent ‘je lui ai rendu son argent'), et c'est emprunt qu'ils considèrent compréhensible étant donné que contrairement au re- de ‘répétition', il n'existe pas d'alternative adverbiale au re- de ‘retour'.
Notons qu'en français mitchif, ce n'est pas seulement la préposition back qui a été empruntée, puisque en plus d'énoncés comme : Vas-tu revenir back encore ? du verbe come back); ‘Vas-tu revenir ?; ou I' ont eu leur biscuit back..., du verbe get back en anglais, qui veut dire ‘Ils ont récupéré leur biscuit', on peut également entendre des énoncés comme : On prenait over...du verbe to take over ‘On (le) remplaçait...'; etc.
Et enfin, le linguiste Walker (2005a, p. 199) souligne que ses locuteurs franco-albertains empruntent assez couramment ce qu'il appelle des connecteurs, ce sont souvent des conjonctions de coordination ou des marqueurs conversationnels, comme dans les exemples suivants : je travaille avec mon Dad and on va camping; c'était probablement le plus triste but c'était intéressant; ou dans l'exemple suivant : so, ça serait plus le fun...; pis then il y a Tailor...; anyway j'avais arrêté l'école...; ou c'est différent... well, c'est plus intéressant que travailler...; ou encore c'était triste de voir comme des femmes là dans les fenêtres pis, t'sais, des hommes, like, qui sont après eux-autres là, t'sais pis, j'sais pas...
L'influence de l'anglais se manifeste surtout à travers certains emprunts. Ainsi, Walker (2005a), une étude qui porte sur le franco-albertain, note les emprunts suivants : « acreage » qui veut dire un ‘ terrain d'environ un arpent', « aphids » des ‘pucerons', « buggy » un ‘boghei', « canola » c'est un amalgame du mot can(ada) et ola ‘huile' et ça fait référence à l' ‘huile de colza', « combine » une ‘moisonneuse-batteuse', « ditch » ‘un fossé ou une rigole', « hitch » une ‘attache', « seeder » ‘un semoir', « shack » ‘une cabane', « shed » ‘une remise, un abri, un hangar'. Les noms des appareils électroménagers et de nombreux produits de la cuisine sont souvent empruntés à l'anglais, surtout dans l'Ouest canadien : comme « freezer » pour ‘congélateur', « mixer » (ou mixeur) pour ‘malaxeur', « toaster » pour ‘grille-pain', « can opener » pour ‘ouvre-boîte', « cornmeal » qui fait référence à la ‘semoule de maïs', « lait évaporé » qui vient du mot anglais evaporated, pour ‘lait condensé', « TV pour la ‘télé', « vacuum cleaner » pour ‘aspirateur', etc.
Dans les emprunts, on distingue entre emprunts assimilés, c'est-à-dire qui présentent un phonétisme français plutôt qu'anglais, une morphologie française et un emploi généralisé dans l'Ouest ou au Canada en général, et des emprunts non-assimilés, c'est-à-dire qui ont une prononciation à dominance anglaise ou qui manifestent des traits morphologiques anglais. On peut les appeller également des emprunts intégraux. Parmi les emprunts assimilés on peut avoir une assimilation phonologique complète, par exemple « chum ([ʧɔm]) pour ‘petit ami', « fun » ([fɔn]) pour ‘plaisir', « truck » ([tʀɔk]) pour ‘camion', « combine » ([kɔ᷉.ˈbɪn]), pour moissoneuse-batteuse.
Le plus souvent, les emprunts assimilés sont également assimilés morphologiquement, dans ce sens qu'elles manifestent aucune des marques morphologiques de l'anglais, comme la marque du pluriel possessif [s] ou [z] : on dira donc des « boyfriend » ([bɔjˈfrɛn]) ‘des petits amis', ou encore, pour les verbes par exemple, qui prennent les marques de conjugaison du français plutôt que de l'anglais : « checker » pour ‘vérifier', et on dira donc « je checke, tu checkes, il checke, nous checkons, etc. ». On aura le verbe « mouver » pour ‘déménager', « swather » pour ‘couper en andains', et vous remarquerez que les verbes empruntés à l'anglais feront toujours partie des verbes du premier groupe, c'est-à-dire des verbes en -er.
Et enfin, le linguiste Walker (2005a), pour le parler franco-albertain, distingue trois types de calques.
Premièrement, ce qu'il appelle les calques sémantiques, où le sens du mot français est modifié selon le sens de l'anglais, comme dans par exemple : j'ai gradué à Falher, Fahler étant le nom d'un petit village dans le nord de l'Alberta. Alors j'ai gradué à Falher, ça vient du verbe anglais graduate et cela veut dire ‘j'ai obtenu mon diplôme à Falher'; je suis retirée, du mot anglais retired ‘je suis à la retraite'; I'ont figuré les affaires de l'expression anglaise to figure out ‘ils ont calculé les affaires', j'ai lu la notice, mot anglais notice ‘j'ai lu l'affiche';
Deuxièmement, les traductions directes, comme dans : la haute école qui est une traduction de high school et qui fait référence à ‘école secondaire, lycée, collège', le grade neuf qui vient de l'anglais ninth grade et qui veut dire ‘neuvième année de scolarité', ou une phrase comme «c'est elle qui fait les livres» et ça vient de l'anglais to do the books, ‘c'est elle qui tient les comptes', ou ce n'est pas ma tasse de thé, et c'est une traduction directe de it's not my cup of tea ‘ce n'est pas mon truc', ou encore on dira payer un compliment de l'anglais to pay a compliment pour ‘faire un compliment'.
Et troisièmement, Walker (2005a) reconnait ce qu'il appelle des transposition syntaxiques comme dans les exemples suivants : j'ai marié Irène... qui vient de l'anglais marry Irene pour ‘j'ai épousé Irène...'; j'ai perdu contrôle, to lose control ‘j'ai perdu le contrôle', vivre dans Edmonton, de l'anglais to live in Edmonton, ‘vivre à Edmonton', ça sonne comme une machine à coudre, en anglaisit sounds like..., en français ‘on dirait le son d'une machine à coudre', je joue le piano, de l'anglais to play piano ‘je joue au piano'; il regardait comme Michael J. Fox, de l'anglais looked like... ‘il avait l'air de...', etc.
Terminons cette vidéo en signalant que l'on retrouve également de l'alternance codique dans le parler de certains locuteurs francophones. On distingue d'ailleurs trois types d'alternance codique.
Premièrement, il y a des des alternances intraphrasiques, celles où l'alternance s'effectue à l'intérieur d'un même énoncé, d'une même phrase, comme dans l'exemple suivant :
- Une différence que de notre temps they like to be entertained à la place de entertain themselves.
- Elle est en charge de euh (...) training program for Telus Edmonton.
Deuxièmement, il y a des alternances interphrasiques caractérisées par des passages d'une langue à l'autre à la frontière de la phrase ou de l'énoncé, comme dans les exemples suivants :
- OK...Ben...Une fois à l'école j'ai assis sur une chaise pis ça a brisé. And everybody laughed so I was totally embarrassed.
Ou encore- Je trouve les jeunes ils disent oh it's boring...
Et troisièmement, il y a des alternances extraphrasiques, caractérisées par l'insertion dans la phrase d'expressions idiomatiques, de formes figées, d'interjections, pouvant être insérées à n'importe quel point de la phrase, comme dans l'exemple :
- Vraiment, I guess, il y avait des complications... ou encore dans l'exemple suivant : t'sais des hommes qui... like... sont après nous autres là.