Présentation des résultats

Comme nous l'avons déjà précisé, nous avons observé l'alternance entre you know et t'sais dans le discours des jeunes adultes d'Edmonton et de Bonnyville, en fonction des variables sociales que nous avons présentées ci-dessus, à savoir : le niveau d'étude, le degré de restriction, le sexe et la localité d'origine. Puisqu'il s'agit d'une analyse réalisée dans le cadre de la linguistique variationniste, nous avons aussi tenu compte du rôle de you know et de t'sais en classant les occurrences retenues selon les fonctions d' Erman (2001)[1] qui sont, rappelons-les : 1) moniteur textuel, 2) moniteur social, et 3) moniteur métalinguistique. Nous avons fait l'analyse à partir du logiciel Goldvarb X pour Mac. Regardons ensemble les résultats obtenus.

Tableau 2 : analyse des facteurs externes et internes

ANALYSE EXTERNE

% de

you know

you know/

you know + t'sais

Effet

Niveau d'étude

S+

5,2

8/154

0,38

S

9,9

20/202

0,15

S-

53,2

82/154

0,93

Degré de restriction

Non-restreint

0

0/0

NA

Semi-restreint

3,6

9/247

0,23

Restreint

38,4

101/263

0,75

Sexe

Homme

0,9

2/215

0,04

Femme

36,6

108/295

0,91

Localité

Edmonton

24,3

109/449

NS

Bonnyville

1,6

1/61

NS

ANALYSE INTERNE

Rôle du marqueur

Moniteur textuel

10,8

55/217

NS

Moniteur social

2,3

12/26

NS

Moniteur métaling.

8,4

43/157

NS

Arrêtons-nous un instant sur la composition du tableau 2. La première colonne présente les deux types d'analyse. Tout d'abord, on retrouve les facteurs niveau d'étude, degré de restriction, sexe, ainsi que localité, quatre facteurs liés à l'analyse externe. Vient ensuite l'analyse interne, prenant en compte le facteur rôle du marqueur. La seconde colonne fournit le pourcentage pour chaque facteur. La colonne 3 indique le nombre total de la forme you know sur le nombre total d'occurrences de you know + t'sais. Enfin, la dernière colonne indique l'effet de chaque facteur. Rappelons que plus ce dernier tend vers 1, plus cela indique que le facteur joue en faveur de l'emploi de you know. Inversement, plus l'effet tend vers 0, moins le facteur joue en faveur de l'utilisation de you know. Enfin, NA signifie « non applicable » (la raison étant que l'unique locutrice non-restreinte n'a employé aucune des deux formes you know ou t'sais) et NS signifie tout simplement « non significatif ».

Tout d'abord, on note que le facteur externe le plus important est le degré d'éducation des locuteurs. Les résultats respectifs sont de 5,2 % pour le groupe le plus instruit (S+), 9,9 % pour le groupe médian, et 53,2 % pour les locuteurs les moins instruits. L'effet est particulièrement élevé (0,93) pour le dernier groupe, ce qui signifie que les locuteurs ayant le degré d'éducation le moins élevé utilisent davantage you know que les deux autres groupes (dont l'effet est d'ailleurs en faveur de la variante française t'sais).

Le degré de restriction linguistique est, lui aussi, important, et l'on observe une très nette distinction entre le groupe de locuteurs semi-restreints et celui des locuteurs restreints. L'emploi de you know croît directement en fonction du degré de restriction linguistique. Les résultats sont les suivants : 3,6 % pour les locuteurs semi-restreints et 38,4 % pour les locuteurs restreints. On constate, par ailleurs, que l'effet est très important pour chacun des deux groupes (0,23 pour le premier groupe vs 0,75 pour le second).

Le dernier facteur social significatif est le sexe des locuteurs. Le tableau 2 indique effectivement que les hommes, contrairement aux femmes, n'utilisent quasiment pas you know (seulement 2 occurrences sur 215 possibilités). Les hommes obtiennent un score de 0,9 % (avec un effet de 0,04), alors que les femmes ont un score de 36,6 % (et un effet de 0,91). La différence entre les deux groupes est particulièrement notable et nous y reviendrons ultérieurement.

Deux autres facteurs ont été pris en compte dans l'analyse : la provenance géographique et le rôle du marqueur. L'effet non significatif (NS) de la provenance géographique des locuteurs (Edmonton vs Bonnyville) montre que malgré des pourcentages très différents (1,6 % pour Bonnyville vs 24,3 % pour Edmonton), on ne peut conclure que les jeunes locuteurs des deux communautés franco-albertaines se distinguent dans leur emploi de you know et de t'sais. Enfin, l'analyse variationnelle montre également que le rôle du marqueur n'est pas non plus significatif (NS) dans l'alternance entre you know et t'sais.