La définition du terme « Métis »
Malheureusement, la reconnaissance des Métis comme l'un des trois peuples autochtones du Canada n'inclut pas de définition de qui peut se considérer « Métis » et ce sont aux diverses cours légales – tant fédérales que provinciales – qu'on a confié la tâche de définir qui est « Métis ». Cela a mené à la judiciarisation à l'extrême de la question. L'absence d'une définition claire du terme « Métis » a également mené à de nombreux débats, souvent acrimonieux, non seulement entre les Métis eux-mêmes mais également entre spécialistes académiques, entre autres. Pour les Métis de l'Ouest, représentés à Ottawa par le MNC, seules les personnes d'ascendance métisse du homeland métis (la mère patrie), ont le droit d'être reconnues comme « Métis ». Cette mère patrie inclurait l'ensemble des trois provinces dites des ‘Prairies' (le Manitoba, la Saskatchewan et l'Alberta), auxquelles on ajoute une partie sud des Territoires du Nord-Ouest, une partie nord du Dakota-du-Nord et du Montana, la partie occidentale de l'Ontario et une partie nord-est de la Colombie-Britannique (voir la carte ci-dessous).
Une tradition depuis établie est que seuls les Métis de la mère patrie ont le droit d'avoir la majuscule ‘M', alors qu'on doit utiliser la minuscule ‘m' pour désigner tous les autres ‘métis' du Canada.
En 2003, un jugement de la Cour suprême du Canada (CSC) vint bouleverser la situation légale et politique des Métis (et des métis!) du Canada. Il s'agissait de déterminer si deux chasseurs métis de la communauté de Sault-Sainte-Marie dans la région des Grands Lacs de l'Ontario, ayant abattu un orignal hors saison, en avaient le droit selon les droits reconnus aux autochtones dans la Constitution du Canada de 1982. La CSC décida qu'effectivement, les deux Métis étaient membres d'une communauté métisse historique et qu'ils avaient donc le droit de chasser pour leurs besoins de nutrition. L'importance de ce jugement est qu'on reconnaissait l'existence légale et historique d'une communauté historique métisse distincte et hors de la soi-disant mère patrie métisse. Cet arrêt, appelé l'arrêt Powley d'après le patronyme des deux chasseurs, détermine désormais plusieurs conditions selon lesquelles une personne peut être considérée « Métis » : 1) la personne doit s'auto-identifier comme étant métis; 2) elle doit avoir un lien ancestral avec une communauté métisse historique; et 3) elle doit être reconnue et acceptée par une communauté métisse actuelle ayant une continuité avec la communauté historique.
Depuis l'arrêt Powley, plusieurs demandes de reconnaissance de statut « Métis » ont été soumises à diverses cours provinciales, au Québec, au Nouveau-Brunswick et en Nouvelle-Écosse, mais aucune d'elles n'a encore réussi à convaincre les juges du bien-fondé de leur argumentation en fonction des conditions énumérées dans le jugement de la CSC. Toujours depuis l'arrêt Powley, les gouvernements provinciaux ainsi que le gouvernement fédéral ont signé plusieurs accords uniquement avec les organismes tels que le MNC (reconnu comme étant le seul représentant des Métis du Canada au gouvernement d'Ottawa) et en 2019, la Metis Nation Alberta, la MNO et la Metis Nation- Saskatchewan ont signé un accord d'auto-gouvernance avec Ottawa.
En 2016, l'arrêt Daniels de la CSC détermina que les Métis du Canada – sans définir ceux à qui ce terme peut s'appliquer – sont reconnus comme étant ‘Indiens', selon la Loi sur les Indiens de 1867. Ceci veut dire que le gouvernement fédéral a certaines responsabilités légales et fiduciaires envers les Métis. Cet arrêt a le mérite de mettre fin aux débats interminables qui avaient eu lieu entre les provinces et le gouvernement fédéral à savoir qui était responsable des Métis au Canada.
La communauté académique qui défend la définition étroite du terme « Métis » (par exemple, Anderson ( 2014[3], 2016[4]), Chartrand (2002)[5], Gaudry (2018)[6], Leroux (2019)[7], Vowel et Leroux (2016)[8], etc.) argumente que l'identité métisse n'est pas uniquement une question d'héritage mixte, mais que c'est plutôt une question d'avoir un patrimoine culturel d'origine double. C'est donc dire qu'une personne de descendance crie ou anishnabée (ojibwée) et canadienne-française serait considérée comme étant « Métis » non seulement en vertu de leur descendance mixte, mais selon qu'elle possède l'héritage métis pouvant être retracé jusqu'à la communauté métisse de la Rivière Rouge. Pour eux, les personnes de l'est du Canada qui s'identifient comme ‘Métis' ne sont que des usurpateurs, des changeurs de race (race shifters), des néo-colons blancs, etc. D'autres, tels que Bouchard et coll. (2019)[9], Gagnon (2019)[10], Malette (2021)[11], Michaux (2017)[12], O'Connell (2021)[13], Pulla (2021)[14], considèrent que la définition est trop étroite et qu'elle démontre une compréhension limitée et incomplète de l'histoire des Métis au Canada. Ils argumentent que des communautés métisses en Nouvelle-Écosse, au Québec et en Ontario, entre autres, ont existé et existent toujours, qu'elles sont nées dès le dix-septième siècle dans le contexte de la traite des fourrures, bien avant l'établissement de la colonie de la Rivière Rouge.
Le débat sur la définition du terme « Métis » est également à la source de la débandade politique actuelle parmi les associations métisses du Canada. Même si la MNO avait accepté la définition étroite du MNC, en 2017 elle reconnut officiellement six autres communautés métisses historiques en Ontario, communautés qui de toute évidence n'avaient aucun lien avec la soi-disant ‘mère patrie »; cela eut comme résultat immédiat la mise en probation de la MNO par le président et le vice-président du MNC (le vice-président étant également président de la MMF), sans l'aval des autres organisations constituantes. Sans entrer dans les détails, le président du MNC fut remplacé et le statut de la MNO fut restitué, ce qui poussa la MMF à quitter définitivement le MNC. Entre temps, un certain nombre de communautés métisses de l'Alberta décidèrent de quitter la MNA et fondèrent l'Alberta Metis Federation en 2020, qui signera en 2021 une lettre d'entente avec la MMF.