Présentation du corpus et de la méthodologie
L'étude s'appuie sur une analyse d'un corpus de français parlé, recueilli à l'automne 2008, dans la petite ville de Prince Albert, dont les données démolinguistiques sont disponibles ici. À l'aide de l'animatrice culturelle de la Société canadienne-française de Prince Albert, Robert Papen, professeur à l'Université du Québec à Montréal et fransaskois, a réussi à établir une liste de 24 personnes disponibles pour être interviewées.
Comme nous l'avons vu dans le module 1, il est nécessaire de stratifier le corpus que l'on étudie selon des variables externes, soigneusement choisies en fonction des objectifs fixés dans le cadre de la recherche. Dans cette étude, nous avons choisi de répartir les locuteurs selon leur sexe, leur âge, leur statut socio-économique ainsi que leur dominance langagière. Le tableau 1 rend compte de la ventilation des locuteurs de notre corpus.
Classe sociale | Hommes | Femmes |
---|---|---|
Statut supérieur | 6 | 10 |
Statut inférieur | 5 | 3 |
Classe d'âge | ||
Aînés (65 et +) | 5 | 6 |
Adultes (50 à 64) | 3 | 6 |
Jeunes adultes (-40) | 3 | 1 |
Dominance langagière | ||
Franco-dominants | 3 | 3 |
Anglo-dominants | 4 | 4 |
Bilingues équilibrés | 4 | 6 |
Total | 11 | 13 |
Notons que, malheureusement, nous n'avons pas eu accès à des locuteurs dont l'âge se situe entre 40 et 50 ans. Retenons également que si un participant se déclarait plus à l'aise en français qu'en anglais dans la vie de tous les jours, on le considérait comme étant « franco-dominant »; s'il s'avérait plus à l'aise en anglais qu'en français, on le notait comme « anglo-dominant », et s'il déclarait qu'il se sentait tout aussi à l'aise en français qu'en anglais, on le classait comme « bilingue équilibré ».
Chaque interview durait environ une heure et demie et consistait en trois parties distinctes. Durant la première partie, nous posions une série de questions portant sur les lieux de vie, l'origine familiale et le territoire; des questions relatives à la vie rurale et agricole traditionnelle, à l'économie locale; des questions portant sur la vie sociale et les coutumes; et, finalement, des questions relatives aux représentations langagières (situation du français minoritaire, langues le plus souvent utilisées dans diverses activités, etc.). Dans la deuxième partie, nous cherchions à déterminer les connaissances lexicales des locuteurs à l'aide d'un questionnaire portant sur 15 mots soi-disant spécifiques au parler fransaskois. Durant la troisième partie, celle qui nous intéresse ici, nous demandions aux locuteurs de lire à haute voix une liste de 35 mots, ainsi que le chiffre identifiant chaque mot, pour un total de 70 mots. Les 35 mots avaient été choisis en s'inspirant d'une liste de mots développée par Douglas Walker, qui étudie depuis des années le parler français de la région de la Rivière la Paix, en Alberta, et qui participe au projet de recherche Phonologie du français contemporain (Durand et Lyche, 2003)[1]. Chacun des mots implique au moins un trait de prononciation typique et des fois plusieurs à la fois. La liste de mots se situe à la fin de ce sous-module. Ainsi, un mot comme « coutume » peut nous informer quant à l'aspiration ou non de la consonne initiale, sur la qualité de la voyelle de la première et de la deuxième syllabe et de l'assibilation ou non du /t/. Le mot « dire » nous informera sur l'assibilation ou non du /d/, sur la qualité de /R/, ainsi que sur la longueur du /i/; un mot comme « couple » nous donne des informations sur l'aspiration ou non de la consonne initiale, sur la qualité de la voyelle et sur la réduction ou non du groupe consonantique final.
Avant que chacun des locuteurs ne débute la lecture des chiffres et des mots, nous leur avions signalé qu'ils devaient lire ces termes de la manière la plus naturelle possible. Il reste que la lecture à haute voix de mots génère le plus souvent une prononciation la plus soignée et la moins vernaculaire possible de la part des locuteurs. Les entrevues et les réponses aux deux questionnaires ont été enregistrées numériquement et transférées sur ordinateur (en format mp3). Pour la liste de mots, nous avons fait chacun une première transcription phonétique des 70 mots individuellement et par la suite, nous avons fait une seconde écoute, en faisant jouer plusieurs fois les éléments sur lesquels nous n'arrivions pas à nous mettre d'accord, jusqu'à ce que nous arrivions à la même transcription.
Précisons un dernier aspect méthodologique important. Nous nous sommes rendu compte que certains locuteurs n'avaient pas l'habitude de lire à haute voix et qu'ils avaient parfois de la difficulté à reconnaître quelques mots. Ainsi, plusieurs ont buté sur « duel », « cadenas », « tuile », « abusif » et « épingle ». Si le locuteur arrivait à se corriger, nous prenions uniquement la dernière production. Dans les cas où le locuteur prononçait simplement un tout autre mot (par exemple « cardinal » pour « cadenas » ou « singe » pour « signe »), ces productions ont naturellement été éliminées de l'analyse statistique.