L'analyse externe du corpus d'Edmonton (AB)

Regardons maintenant les résultats de l'analyse externe du corpus d'Edmonton présentés dans le tableau 4, ci-dessous.

Tableau 4 : analyse externe du corpus d'Edmonton (AB)

Facteur social

% de [tʊt]

n/N

Effet

Sexe

Hommes

48

47/98

0,63

Femmes

32

48/150

0,42

Niveau de scolarité

S+

25

26/102

0,36

S

57,1

32/56

0,73

S-

41,1

37/90

0,55

Restriction linguistique

Non-restreints

4,3

1/23

0,17

Semi-restreints

43

46/107

0,58

Restreints

40,7

48/118

0,48

Comme pour les analyses de Casselman et de Saint-Laurent, le tableau 4 présente les facteurs sociaux, les pourcentages de [tʊt] pour chaque facteur, le nombre d'occurrences de [tʊt] (n) sur le total des formes [tʊt]-[tu]-[tʊs], ainsi que l'indice effet obtenu à partir du test réalisé avec Goldvarb.

L'analyse externe du corpus d'Edmonton permet de rendre compte des éléments suivants :

1) la forme [tʊt] est davantage caractéristique des hommes (effet = 0,63) que des femmes (effet = 0,42) ;

2) la forme [tʊt] est davantage caractéristique du niveau d'éducation intermédiaire (effet = 0,73) que des niveaux inférieur (effet = 0,55) et supérieur (effet = 0,36);

3) la forme [tʊt] est davantage caractéristique des locuteurs semi-restreints (effet = 0,58) que des locuteurs restreints (effet = 0,48) et non-restreints (effet = 0,17).

Si l'analyse du facteur sexe permet de constater que [tʊt] possède une valeur sociostylistique, l'analyse du niveau d'éducation semble plus problématique. En effet, on a vu, dans le module 1, qu'à l'instar des classes sociales, plus le niveau d'éducation des locuteurs augmente, plus ces derniers tendent à employer des variantes standard et inversement. Or, ce n'est pas le cas ici, puisque si les locuteurs ayant le niveau d'éducation le plus élevé semblent rejeter la forme [tʊt], les locuteurs de niveau intermédiaire tendent à l'employer davantage que ceux dont le niveau d'éducation est le plus faible. Comment peut-on alors expliquer ce phénomène ?

La réponse est identique, ou presque, à celle que nous avons fournie dans l'analyse du corpus de Casselman. Une analyse approfondie des occurrences révèle tout simplement que les locuteurs de la catégorie S (niveau d'éducation intermédiaire) ont produit une majorité de [tʊt] employés comme QMP (quantificateur masculin pluriel), facteur interne particulièrement important dans le corpus d'Edmonton, puisque le tableau 1 indique un indice effet de 0,85. Le résultat concernant la catégorie des locuteurs de niveau d'éducation intermédiaire (S) semble donc être nettement contaminé par le facteur interne QMP.

Enfin, on note un dernier problème, qui concerne, cette fois-ci, le degré de restriction linguistique des interviewés. On a vu dans le module 1 que, selon le principe de dévernacularisation de Mougeon (2005), l'emploi des variantes vernaculaires s'accentue à mesure que le degré de restriction linguistique s'amenuise. Or, les résultats du tableau 4 montrent que les locuteurs non-restreints rejettent fortement la variante vernaculaire [tʊt] (effet = 0,17), contrairement aux locuteurs semi-restreints (effet = 0,58) et aux locuteurs non-restreints (effet = 0,48). Il y a donc un problème évident.

En fait, la catégorie des locuteurs non-restreints n'est représentée, dans le corpus d'Edmonton, que par une seule et unique personne, dont le niveau d'éducation est très élevé et qui, par conséquent, tend à rejeter davantage la forme non standard [tʊt]. En d'autres mots, le résultat relatif à la catégorie des locuteurs non-restreints n'est pas représentatif, car le manque important d'interviewés facilite la forte contamination du facteur niveau d'éducation sur la catégorie des locuteurs non-restreints.