Discussion
Quels sont maintenant les éléments essentiels à retenir ? Pour répondre à cette question, nous allons tout simplement relever les points de convergence et les points de divergence, à la manière de Mougeon, Hallion Bres, Papen et Bigot (2010)[1] et de Mougeon, Hallion, Bigot et Papen (2016)[2]. Commençons par les éléments de divergence, car ce sont les moins nombreux à retenir :
1) Du point de vue interne à la langue, l'emploi de la variante [tʊt] varie d'un corpus à l'autre lorsqu'elle est employée comme DEGM, AdvQMS, PAM, PAML ou PRONOM;
2) Du point de vue externe à la langue, le français parlé par les interviewés de Saint-Laurent semble se démarquer de celui des locuteurs de Casselman et d'Edmonton, puisque [tʊt] ne revêt aucune valeur sociostylistique en français mitchif.
Maintenant, pour ce qui est des points de convergence, on notera les deux éléments suivants :
1) Du point de vue interne à la langue, on note que dans les trois corpus, les variables ModC, ModT, QMS, AdvQMP et QMP fonctionnent de la même façon. Les deux premières jouent en faveur de [tʊt], alors que les trois dernières jouent défaveur de cette forme.
2) Du point de vue externe à la langue, on note les éléments suivants :
- À Casselman et à Edmonton : les femmes rejettent davantage [tʊt] que les hommes ;
- À Casselman et à Saint-Laurent : les locuteurs les plus âgés rejettent davantage [tʊt] que les autres locuteurs ;
- À Casselman et à Edmonton : les locuteurs les plus éduqués rejettent davantage [tʊt] que les autres locuteurs.
Autrement dit, la variante [tʊt] est sociostytiquement marquée dans deux corpus (Casselman et Edmonton) sur trois. Ceci est corroboré par le fait que la forme /tʊt/ est également rejetée par les membres de la classe sociale supérieure de Casselman, ainsi que par les locuteurs restreints du corpus d'Edmonton.
Enfin, cette forme vernaculaire semble avoir été adoptée relativement récemment, puisque les locuteurs les plus âgés des corpus de Casselman et de Saint-Laurent semblent l'employer dans des proportions moindres que les autres interviewés.
L'ensemble de ces points de convergence nous indique visiblement un degré de parenté important en les trois variétés de français que nous avons observées.
Nous terminerons notre discussion en soulignant que
Lemieux et al. (1985, p. 85)[3] notaient que : « L'interprétation des facteurs sociaux, en particulier de l'âge et du marché linguistique, ne nous permet pas de conclure que la neutralisation de TOUT représente un changement en cours; nous sommes plutôt en présence d'un changement ancien qui a été combattu, par un groupe de locuteurs dans la période de l'après-guerre et qui continue d'être freiné par les femmes qui, là comme dans d'autres cas, ont un comportement plus près de la norme que les hommes »
. Les résultats que nous avons observés jusqu'ici confortent la conclusion de ces auteurs puisque :
1) Le changement ancien dégagé à partir des données de Montréal semble être confirmé par les analyses des corpus de Casselman et de Saint-Laurent, et ;
2) À l'exception de Saint-Laurent, la forme [tʊt] est, tout comme à Montréal, une variante caractéristique d'un parler vernaculaire.
Non seulement les analyses que nous avons effectuées à partir des trois corpus de Casselman, de Saint-Laurent et d'Edmonton révèlent un degré de filiation important entre les trois variétés de français, mais elles permettent aussi de confirmer la parenté de ces variétés avec le français parlé au Québec.