Présentation du phénomène

En français québécois et plus généralement dans les variétés de français parlées au Canada, il existe à l'oral une neutralisation des formes masculines du français standard [tu] et [tus] en [tʊt]. Selon Burnett (2013)[1], on peut d'ailleurs distinguer deux paradigmes :

(1) Le paradigme de tou(te)s en français standard (c'est-à-dire international) :

- tout ([tu]) le vin; toute ([tut]) la tarte; tous ([tu]) les vins; toutes ([tut]) les tartes; je les ai tous ([tus]) vus

(2) Le paradigme de /tʊt/ en français canadien :

- [tʊt] le vin; [tʊt] la tarte; [tʊt] les vins; [tʊt] les tartes; je les ai tous ([tʊt]) vus

Burnett (2013, p. 211)[1] souligne également que : « tUt est l'un des éléments les plus étudiés du système de quantification du  [français québécois] ».

À ce jour, on compte plus d'une quinzaine d'études portant sur le phénomène. On citera, entre autres, Morin (1976)[2], Lemieux-Nieger et al. (1981)[3], Lemieux (1982)[4], Lemieux et al. (1985)[5], Cyr (1991)[6], Léard et Beauchemin (1991)[7] ou encore Bélanger (2003)[8]. Parmi ces nombreuses études, seules six d'entre elles se sont attachées à observer la forme /tʊt/ sous un angle sociolinguistique :

1) Lemieux et al. (1985)[5] ont observé l'emploi de /tʊt/ à partir des entrevues du grand corpus de français montréal, le corpus Sankoff-Cedergren ;

2) Daveluy (2005)[9] a examiné l'usage de /tʊt/ dans la lecture à voix haute des locuteurs du corpus Sankof-Cedegren ;

3) Bigot (2008)[10] a étudié /tʊt/, et ses variantes standard /tu/-/tʊs/, dans le discours des élites québécoises, rassemblées au sein du corpus Le Point ;

4 ) Bigot (2012)[11] a examiné l'usage de la variante dans un corpus d'entrevues de jeunes Franco-Albertains natifs d'Edmonton, enregistré dans les années 70 ;

5 ) Bigot et Papen (2012)[12] ont étudié l'alternance entre /tu/-/tus/ et /tʊt/ dans les récentes entrevues du corpus de Casselman (ON) ;

6) Labelle-Hogue (2013)[13] a réalisé une étude sur l'emploi de /tʊt/ dans la télésérie québécoise La p'tite vie.

Bien que, pour des raisons méthodologiques évidentes, toutes ces données ne soient pas parfaitement comparables (par exemple, certains corpus sont distants de plus de 30 ans, certains corpus sont constitués d'entrevues semi-dirigées informelles alors que d'autres sont construits autour d'entrevues formelles ou d'épisodes), il ressort de leur mise en commun que l'emploi de /tʊt/ n'est ni systématique, ni aléatoire. Au contraire, on constate que son utilisation est variable et que celle-ci obéit à des facteurs linguistiques et extralinguistiques précis.

Remarque

En français laurentien, les voyelles fermées (/i y et u/) sont relâchées et légèrement ouvertes en [ɪ], [ʏ] et [ʊ] dans les conditions suivantes : syllabe accentuée et fermée par une consonne non allongeante comme /p t k b d g f s ʃ/ etc. Les voyelles relâchées peuvent également exister en syllabe prétonique en vertu de l'harmonisation vocalique, comme dans le mot « bibitte »/« bibite », prononcé [bɪbɪt] en français laurentien, désignant, en français familier, un insecte.