L'analyse inter-corpus des facteurs internes

En premier lieu, commençons par l'analyse des facteurs internes. Le tableau 1, ci-dessous, présente les résultats obtenus à partir d'une analyse effectuée avec le logiciel Goldvarb.

Tableau 1 : analyse des facteurs internes pour chaque corpus

Facteur

interne

Casselman (ON)

Saint-Laurent (MB)

Edmonton (AB)

% de [tʊt]

Effet

% de [tʊt]

Effet

% de [tʊt]

Effet

ModC

31,6

0,20

80,5

0,43

0

KO

ModT

56,1

0,41

82,5

0,46

26,7

0,38

QMS

66,7

0,52

93,3

0,72

66,7

0,77

AdvQMP

66,7

0,52

96,6

0,83

88,9

0,93

QMP

78,1

0,66

98,5

0,92

76,2

0,85

DEGM

43,1

0,29

48,8

0,15

50

0,63

AdvQMS

92,3

0,88

97,1

0,85

33,3

0,46

PAM

67,6

0,53

77,3

0,38

10,6

0,17

PAML

65,7

0,51

48,2

0,14

40,5

0,53

PRO

59,6

0,44

91,8

0,67

50

0,48

TOTAL

63,7

-

75,9

-

38,3

-

Le tableau 1 nous fournit les informations suivantes. Tout d'abord, la colonne 1 nous indique les variables indépendantes internes prises en compte. Ces variables sont basées sur la classification de Lemieux et al. (1985)[1], que nous avons présentée dans la section méthodologie. La colonne 2 concerne les résultats (c'est-à-dire les % ainsi que l'effet) relevés dans le corpus de Casselman (ON). La colonne 3 donne les résultats pour le corpus de Saint-Laurent (MB) et la colonne 4 donne ceux du corpus d'Edmonton.

Rappelons également à nouveau les éléments suivants : 1) plus l'indice effet tend vers 1, plus le facteur joue en faveur de la variante, plus l'indice effet tend vers 0, moins le facteur joue en faveur de la variante mesurée. NS indique que le facteur n'est pas significatif et donc qu'il ne joue aucun rôle sur l'utilisation de la variante. Enfin, KO (pour l'anglais knock-out) indique une valeur catégorique et donc une absence de variation.

Les résultats du tableau peuvent être résumé de la façon suivante :

1) Les variables ModC et ModT ne jouent pas en faveur de la forme /tʊt/. En effet, pour la variable ModT, l'effet est de 0,20 à Casselman, 0,43 à Saint-Laurent et KO (ici, cet emploi est inexistant) à Edmonton. Pour ce qui est de la variable ModC, l'effet est de 0,41 à Casselman, 0,46 à Saint-Laurent et 0,38 à Edmonton. Bien entendu, les effets varient d'un corpus à l'autre, mais ce qu'il faut surtout retenir est le fait que pour chaque corpus, l'effet est inférieur à 0,50 et donc en défaveur de /tʊt/.

2) Les variables QMS, AdvQMP et QMP jouent, cette fois-ci, en faveur de /tʊt/. La variable QMS obtient un effet de 0,52 à Casselman, 0,72 à Saint-Laurent et 0,77 à Edmonton. La variable AdvQMP, elle, obtient 0,52 à Casselman, 0,83 à Saint-Laurent et 0,93 à Edmonton. Enfin, la variable QMP a des indices de 0,66 à Casselman, 0,92 à Saint-Laurent et 0,85 à Edmonton. Là encore, on constate une nette variation de l'indice effet entre les corpus. Mais pour chacun d'entre eux, l'indice effet est supérieur à 0,50, donc en faveur de la forme /tʊt/.

3) Pour les autres variables (DEGM, AdvQMS, PAM, PAML et PRO), on constate que les résultats relevés dans les trois corpus ne concordent pas systématiquement, comme pour les cinq premières variables. Par exemple, l'indice de la variable DEGM est nettement inférieur à 0,50 à Casselman (0,29) et à Saint-Laurent (0,15), alors qu'il est supérieur à 0,5 à Edmonton (0,63). Pour ce qui est de la variable PAM, cette fois, c'est le résultat relatif au corpus de Casselman qui se démarque par un effet positif 0,53, contrairement aux résultats de Saint-Laurent (0,38) et d'Edmonton (0,17). Enfin, on notera que le corpus de Saint-Laurent (effet = 0,67) peut, lui aussi, se distinguer de Casselman (effet = 0,44) et d'Edmonton (effet = 0,48).

Les résultats obtenus sont donc très intéressants, mais également quelque peu ambigus. Cinq des dix variables démontrent une convergence systématique entre les trois variétés de français. Par contre, pour les cinq autres variables, la situation est plus complexe, puisqu'il y a convergence de deux corpus sur trois, mais pas toujours les mêmes, pour la même variable. Tout au plus, pouvons-nous dire que ces résultats suggèrent une piste intéressante de recherche pour confirmer ou infirmer la convergence entre les parlers laurentiens.

Passons maintenant à l'analyse externe.