La variation grammaticale
Le dernier type de variation linguistique que nous allons voir est la variation liée à la grammaire. Elle peut toucher la morphosyntaxe (notamment les formes d'accord) comme la syntaxe de la phrase (c'est-à-dire l'ordre des mots). Un exemple concret de variation morphosyntaxique est l'emploi des trois formes « je vais », « je vas » et « m'as » en français canadien. En effet, lorsqu'il est employé comme semi-auxiliaire (suivi d'un infinitif) comme dans « je vais manger une pomme », un locuteur francophone du Canada peut dire :
1) j'vais manger une pomme [jvɛmɑ̃ʒeynpɔm]
2) j'vas manger une pomme [[jvɑmɑ̃ʒeynpɔm]
3) m'as manger une pomme [mɑmɑ̃ʒeynpɔm]
Nous étudierons ce phénomène plus en profondeur dans le module 3. Nous verrons notamment qu'il existe également une variante pronominale. Mais pour le moment, retenons ces formes à simple titre d'exemple.
En français canadien, on note aussi l'emploi de « tous » et « tout » prononcés [tʊt] au lieu de [tʊs] et [tu], quel que soit le groupe grammatical qui les suit. On oppose donc :
1) j'ai fait tout [tu] mon travail vs j'ai fait tout [tʊt] mon travail.
2) j'ai fait tous [tu] mes travaux vs j'ai fait tous [tʊt] mes travaux.
3) mes travaux, je les ai tous [tʊs] faits vs mes travaux, je les ai tous [tʊt] faits.
Nous reviendrons également sur ce phénomène dans le module 3 et nous verrons les nombreuses catégories grammaticales auxquelles « tout » et « tous » peuvent appartenir. On retiendra pour l'instant de ces exemples que l'accord en genre et en nombre de « tout » et « tous » est neutralisé sous une même forme phonique /tut/. Précisons que si ce phénomène est bien connu et documenté en français canadien, il ne l'est pas en français de France, du moins à notre connaissance.
Comme nous l'avons mentionné ci-haut, la variation grammaticale peut toucher la morphosyntaxe, mais aussi la syntaxe de la phrase. Prenons deux exemples simples : le cas des interrogatives directes totales (c'est-à-dire les interrogatives auxquelles on répond par « oui » ou par « non ») ainsi que le cas des interrogatives indirectes.
En français québécois (et dans les autres variétés de français du Canada), les phrases interrogatives directes fermées peuvent se construire de plusieurs façons :
1) par inversion du sujet et du verbe comme dans « Vient-il au cinéma avec nous ce soir ? » ;
2) avec « est-ce que » comme dans « Est-ce qu'il vient au cinéma avec nous ce soir ? » ;
3) par intonation comme dans « Il vient au cinéma avec nous ce soir ? ;
4) par ajout de la particule interrogative « -tu » comme dans « Il vient-tu au cinéma avec nous ce soir ? ».
Comme on peut le constater, dans ces exemples, c'est bien l'agencement des éléments grammaticaux et donc la syntaxe des phrases qui varie. Dans certains cas, on a inversé l'ordre des mots, dans d'autres, on a ajouté un élément ou un groupe d'éléments avant ou après le verbe.
Sur le même principe, on retrouve de la variation syntaxique dans les phrases interrogatives indirectes. Toujours en français québécois, on trouve les trois variantes suivantes :
1) je me demande ce que tu fais avec ça ;
2) je me demande qu'est-ce que tu fais avec ça ;
3) je me demande que c'est que tu fais avec ça ;
4) je me demande qu'est c'est que tu fais avec ça.
Comme dans l'exemple précédent, ces quatre phrases expriment la même chose. Elles ne sont cependant pas construites avec les mêmes éléments grammaticaux et leur syntaxe diffère nettement. On soulignera que, tout comme pour les interrogatives directes, un locuteur n'emploie pas ces constructions dans un même contexte. Leur utilisation dépend notamment de la situation de communication dans laquelle la personne se trouve.