La variation externe
Comme nous l'avons déjà souligné, les linguistes variationnistes tentent d'expliquer les phénomènes de variation linguistique à partir de contraintes internes à la langue, mais aussi à partir de contraintes externes à la langue. Selon Bulot et Blanchet (2013, p. 48)[1], la variation externe s'organise autour de cinq dimensions : diachronique, diatopique, diastratique, diaphasique et diagénique.
1) La première de ces variations, la variation diachronique, concerne l'évolution de la langue dans le temps. Elle permet de distinguer les formes anciennes des formes plus récentes d'une même langue. Par exemple, on délimite dans l'ordre chronologique les différentes périodes historiques du français de la façon suivante : le proto-français (au VIIIe siècle), le vieux français (du IXe au XIIIe siècle), le moyen français (du XIVe au XVe siècle), puis le français contemporain (du XVIe siècle à maintenant). Évidemment, le français contemporain peut lui-même être divisé en périodes variables, comme par exemple, le début du XXe siècle, la période des années 50 ou le temps présent. Par exemple, le mot hôpital était anciennement prononcé [hɔspital] plutôt que [ɔpital].
2) La variation diatopique permet d'identifier les variétés d'une même langue sous un angle géographique. Les variétés wallonne, marseillaise, québécoise seront ainsi définies comme « régiolectes », « topolectes » ou « géolectes » parce qu'elles sont parlées dans des territoires géographiques précis (états, provinces, régions, départements, etc.). Par exemple, on prononcera le mot Canada [kanadɑ] en français québécois, mais [kanada] en français de France.
3) La variation diastratique relève les différences d'usage d'une même langue au sein des couches sociales. Le français des classes sociales élevées de Paris représente en France, la norme, le modèle à suivre, contrairement à certaines variétés dépréciées, voire stigmatisées (l'accent dit « de banlieue », par exemple). On parlera ici de « sociolectes ». Par exemple, une phrase comme « m'as manger une pomme » est davantage caractéristique des classes ouvrières québécoises, contrairement à « j'vais manger une pomme » qui sera plutôt employée par les classes moyennes et supérieures.
4) La variation diaphasique rend compte des usages différant d'une situation de discours à une autre. La production langagière est déterminée par le caractère « formel » ou « informel » de la situation de communication. Labov (1976)[2] l'appelle « variation stylistique ». Selon lui, chaque locuteur apporte à son langage une forme « d'autosurveillance ». Il précise d'ailleurs que : « La variation stylistique suit la même direction quelle que soit la classe ; plus le contexte est « formel », plus apparaissent, chez tous les locuteurs, les variantes « de prestige » (celles que les classes supérieures utilisent le plus). » (Labov, 1976, p. 21)[2]. Inversement, plus le degré de formalité de la situation décroît, plus l'usage des variantes vernaculaires (c'est-à-dire les variantes produites spontanément, lorsqu'on ne fait pas attention à notre façon de parler) augmente. Pour différencier les styles entre eux, on parlera alors d'« idiolectes ». Par exemple, la neutralisation de « tout » et « tous » en [tʊt] est caractéristique du vernaculaire québécois.
5) La variation diagénique concerne les différences de parler relevées entre les hommes et les femmes. Elle permet de rendre compte, par exemple, que les hommes et les femmes n'ont pas les mêmes représentations linguistiques (une variante peut être perçue positivement par les hommes, mais négativement par les femmes) et donc qu'ils n'emploient pas nécessairement les mêmes formes dans des contextes sociaux similaires.
Terminons en soulignant qu'il existe une dernière dimension, la dimension diamésique, qui concerne les différences liées au canal employé par les locuteurs. Elle permet notamment de mettre en lumière les écarts entre l'oral et l'écrit et de « prendre en charge les formes liées aux nouvelles technologies [...]. »
Bulot et Blanchet (2013, p. 48)[1]