Bonjour et bienvenue dans cette petite vidéo consacrée aux traits morphosyntaxiques typiques du français laurentien. L'objectif de cette vidéo est de vous faire entendre quelques-uns des phénomènes présentés dans le cours.
Commençons avec quelques phénomènes touchant le nom et le groupe nominal. En fait de dérivation, les parlers français de l'Ouest canadien ne diffèrent pas beaucoup du français québécois.
Par exemple, le suffixe -age y est très productif, tout comme au Québec, car il s'ajoute à de nombreux radicaux qui ne prennent généralement pas ce suffixe en français hexagonal et pour certains, même pas au Québec, par exemple « chiâlage » ‘action de se plaindre', « campage »* ‘faire du camping', ou « cannage » ‘mettre en conserve'.
Le suffixe -erie, est très productif au Québec, et il l'est également dans l'Ouest : on aura par exemple « binerie » qui veut dire ‘gargotte', ça vient de l'anglais bean ‘haricot', ou encore « menterie » pour ‘mensonge'.
Mentionnons finalement l'emploi très fréquent du suffixe –eux, par exemple « niaiseux » pour ‘idiot', « téteux » pour ‘lèche-cul', « ostineux » pour ‘ergoteur', « chevreux » qui vient du mot chevreuil et qui veut dire aujourd'hui ‘cerf de Virginie'.
Quant à la flexion nominale, elle ne diffère pas essentiellement des autres parlers français transnationaux. Par contre, le genre de certains noms en français laurentien (surtout des emprunts à l'anglais) diffère de celui du français de France : on dira « une job » au lieu d'« un job » en France, on dira « une toast » vs « un toast », etc.
Aussi, un certain nombre de mots à initiale vocalique qui sont masculins en France seront de genre féminin en français laurentien : on dira « une autobus », « une aspirateur », « une hôpital », ou encore « une avion ».
En français laurentien, tout comme en français québécois, les déterminants démonstratifs ce, cet et cette sont souvent remplacés par la forme unique c't'e, comprenons [stə] devant une consonne et c't' ([st]) devant une voyelle, par exemple : c't'homme-là, c't'e femme-là.
Il y a très peu de différences entre les déterminants possessifs et ceux du français de référence. Notons par contre la prononciation sans /ʀ/ final de leur en position pré-consonantique, par exemple on dira leu'tab [løtab] au lieu de « leur table », et en position pré-vocalique, on aura soit [lœʀ], soit [løz] : « leur ami » sera donc prononcé [lœʀami] ou [løzami].
Enfin, les adjectifs dans les variétés de l'Ouest sont en général comme en français de référence. Notons simplement que quelques adjectifs ont une forme féminine distincte de celle en français de référence, on aura par exemple « crute » pour ‘crue', « pourrite » pour ‘pourrie', ou encore « pointuse » ‘pointue'.
En ce qui concerne les pronoms, mentionnons les phénomènes suivants :
La plupart des pronoms personnels sujets ont une forme tronquée : il sera prononcé [i] devant consonne, et simplement [j] devant voyelle, [ipaʀ], [jaʀiv], ces formes sont également connues en français populaire d'Europe. Par contre, le pronom elle sera prononcé [a] devant une consonne, et [al] devant une voyelle et il sera prononcé [ɛ], simplement, devant certaines formes du verbe être, donc pour « elle part », on aura [apaʀ], pour « elle arrive », on dira [alaʀiv], et pour « elle est partie », on dira [ɛpaʀʦi], le pronom ils devient [i] devant une consonne, et devient [iz] ou [j] devant une voyelle. « Ils partent » devient [ipaʀt], « ils arrivent » sera prononcé [izaʀiv] ou [jaʀiv].
On remplace le plus souvent le pronom elles par ils, par exemple : « les châssis, ils [j] avaient une poignée » ou « les charrues, ils [i] pouvaient pas être partout... »
Les pronoms complément d'objet indirect lui et leur sont remplacés par y, prononcé [i] ou [j], et leu ([lø]) devant une consonne, et [løz] devant une voyelle, ce qui donne, par exemple : au lieu de « je lui donne », on prononce [ʒidɔn], « elle lui a dit » sera prononcé [ajaʣi], « je leur donne » sera prononcé [ʒlødɔn] et « je leur ai donné » sera prononcé [ʒløzedɔne] ;
Enfin, leur peut également être remplacé par les, par exemple : au lieu de «on leur donne la salle», on dira «on les donne la salle»...
Les suites de pronoms clitiques comme, je les, je la, il la, je te le, je te la, etc. ont tendance à former des crases comme dans : pour « je les prendrais bien... », on dira [ʒepʀɑ᷉dʀɛbjɛ᷉] ; pour « je la vois », on prononcera [ʒavwa] ; « je te le donne » devient [ʃtəldɔn] ; « je te la donne » [ʃtadɔn].
Par contre, le l des pronoms le et la se redouble lorsqu'ils perdent leur voyelle et qu'ils sont précédés d'une voyelle : pour « je l'ai vue », on dira [ʒəllevy].
Dans tous les parlers laurentiens, le pronom ça peut être employé pour faire référence à des personnes, soit comme sujet, soit comme complément d'objet, au singulier comme au pluriel, par exemple : « la madame, ça parlait fort ! » ; ou « ces enfants, ça vient tanné » (ça vient ennuyé/ ça vient fatigué) !; « ça, c'était une Fortier, elle ».
En plus de l'emploi du pronom ça ‘personnel', comme on vient de le voir, les pronoms démonstratifs celui-là, celle-là ont le plus souvent la forme réduite [syla] et pour ceux-(là), celles-(là) la forme sera ceuses(-là) [søz(la)] ou même les ceuses [lesøz].
En français mitchif, le pronom interrogatif de lieu est une forme archaïque ivoù : par exemple « D'ivoù tu viens ? » pour « D'où viens-tu ». Dans les autres parlers de l'Ouest, on aura plutôt la forme standard où ou une forme plus ancienne ioù, « Ioù-ce qui vient ? ». Par contre, ces formes sont souvent accompagnées de que ou même de ce que, ou même c'est que : « Ivoù (ce) (que) t'as venu au monde ? » pour ‘Où es-tu né ?'
Enfin, le relatif ce que n'existe pas en français mitchif ; il est toujours remplacé par quoi ce ou quoi c'est (que), par exemple : « je comprends pas quoi ce tu dis »....Et chez plusieurs locuteurs, la forme quoi est prononcée quo' [kɔ], par exemple : « Tu connais-ti quo' c'est qu'i'fait ? » ou encore « Ma défunte mère i' savait pas quo' c'est j'avais »...
Passons maintenant aux formes verbales. Mentionnons par exemple la restructuration et souvent la régularisation d'un certain nombre de radicaux verbaux : alors pour « ils vont », on entendra « ils allent », on dira « tu voiras » au lieu de « tu verras », « on renvoye » pour « on renvoie» ; et « i'faut qu'i'soye » pour « il faut qu'il soit ».
En français mitchif surtout, un certain nombre de verbes ont été ré-analysés, en incorporant le pronom en ou le pronom y : par exemple « quand il s'est en-revenu... » ; « je me suis en-venu » ; ou encore « i'sont en-allés »... ; ou « C'est en ville qu'i'vont y-aller » ; et mentionnons finalement « Quelle sorte de chainsaw t'en-servais ? », ici chainsaw veut dire une tronçonneuse.
Les formes de 3e personne du pluriel de l'indicatif imparfait des verbes être et avoir sont formées de manière analogique à partir de la forme du présent de l'indicatif : on aura ainsi « ils sontaient » pour « ils étaient » et « ils ontvaient » pour « ils avaient », et même pour certains locuteurs, « ils fonzaient » ou « ils fonssaient » pour « ils faisaient ».
Un dernier trait commun à toutes les variétés de l'Ouest canadien et du français laurentien en général est la tendance lourde à utiliser l'auxiliaire avoir dans tous les temps composés des verbes intransitifs de mouvement, des verbes de changement d'état et des verbes pronominaux, comme dans les phrases suivantes : « notre étable avait tombé là » ou « mes parents, i's'ontvaient marié »...
Et terminons par quelques formes particulières.
L'adverbe alors ou donc qui introduit une proposition de conséquence, comme dans « Il n'y a pas d'autobus, donc je suis venu à pied », est le plus souvent remplacé par la locution (ça) fait que, ou simplement fait que souvent prononcé [fak], comme dans « fait que c'est correct » ou « il était en retard, fait qu'on a pas soupé ».
En français mitchif, le que de fait que peut être effacé, alors on aura une phrase comme « Ça fait je penseras (= penserais) que Louis Riel était pas si coupable que ça ! » ou bien « Ça fait là... après ça, ben le trouble a venu »...
Tout comme pour les autres variétés de français, les interrogatives totales, c'est-à-dire celles qu'on peut répondre par un oui ou un non, sont signalées par le groupe interrogatif est-ce que, par exemple : « Est-ce que t'as compris ? ». Par contre, le marqueur interrogatif le plus typique pour les interrogatives totales est -tu, postposé au verbe, tout comme pour les autres parlers laurentiens : on aura donc « J' peux-tu entrer ? » « Tu viens-tu ? » « I'part-tu si vite ? », « On y va-tu ? »
Enfin mentionnons qu'il existe certaines constructions interrogatives en français mitchif qui ne sont pas connues dans les autres parlers nord-américains. Par exemple, lorsqu'une interrogative implique un certain choix, on ajoutera oubendon (< ou bien donc) à la fin de la phrase, par exemple : « Dis, c'était-ti Mémé (= grand-maman) qui faisait la cookery (= cuisine), oubendon ? ».