Le nom et le groupe nominal
Pour le nom, il faut distinguer entre dérivation (lexicale) et flexion (grammaticale). En fait de dérivation, les parlers français de l'Ouest canadien ne diffèrent pas beaucoup du français québécois. Par exemple, le suffixe -age y est très productif, tout comme au Québec, car il s'ajoute à de nombreux radicaux qui ne prennent généralement pas ce suffixe en français hexagonal et pour certains, même pas au Québec (indiqué ici par un astérisque) : « chiâlage » ‘action de se plaindre', « campage »* ‘faire du camping', « cannage » ‘mettre en conserve', « entraînage »* ‘entraînement', « équitage »* ‘équitation', « voyageage »* ‘faire la navette',« chantage »* ‘action de chanter', etc. Le suffixe -erie, très productif au Québec, l'est également dans l'Ouest : « binerie » ‘gargotte' (de l'anglais bean ‘haricot'), « menterie » ‘mensonge', « aluminerie » ‘usine de traitement d'aluminium', « grainerie » ‘entrepôt pour grains, silo', etc. Mentionnons finalement l'emploi très fréquent du suffixe -eux : « niaiseux » ‘idiot', « téteux » ‘lèche-cul', « ostineux » ‘ergoteur', « chevreux » (< chevreuil) ‘cerf de Virginie', etc.
Quant à la flexion nominale, elle ne diffère pas essentiellement des autres parlers français transnationaux. Par contre, le genre de certains noms en français laurentien (surtout des emprunts à l'anglais) diffère de celui en français de France : « une job » vs « un job », « une toast » vs « un toast », etc. Aussi, un certain nombre de mots à initiale vocalique qui sont masculins en France sont de genre féminin en français laurentien : « autobus », « aspirateur », « hôpital », « été », « automne », « hiver », « avion », etc. Walker (2005a, p. 195-196)[1] note par ailleurs que des différences de genre se trouvent également pour certains autres noms: ce grosseur-là ‘cette grosseur', ce place-là ‘cette place', on est allé au Belgique, etc. Le même phénomène existe aussi en français mitchif ( Papen, 2004a[2]) : Ton garçon, elle est smatte (< angl. smart) ‘Ton garçon, il est intelligent'; la mousse, i' se fait où ce qu'i' l'est à l'abri du soleil. Il est tentant de considérer que cette confusion de genre serait imputable à l'anglais, qui n'a pas de genre grammatical, et il semblerait effectivement, du moins pour les exemples cités par Walker pour l'Alberta, que ce soit des locuteurs dont la langue dominante est l'anglais qui les produisent. Par contre, pour le français mitchif, il est possible que ce soit plutôt l'influence des langues algonquiennes qui soit en cause, puisque dans ces langues, même s'il existe une distinction de genre, celle-ci est de l'ordre animé/non-animé et non de l'ordre masculin/féminin.
Il y a peu à dire sur les déterminants. En français québécois, les déterminants démonstratifs ce, cet et cette sont souvent remplacés par la forme unique c't'e (prononcé [stə] devant une consonne et c't' ([st]) devant une voyelle) : c't'homme-là, c't'e femme-là, etc. Ces formes ont également été attestées par Rochet (1993)[3] pour le français d'Alberta et par Hallion Bres (2006)[4] pour le français manitobain. Par contre, selon Walker (2005a, p. 195)[1], ces formes ne seraient pas utilisées par les locuteurs de son corpus de la région de la Rivière-la-Paix, au nord-ouest de l'Alberta et les déterminants ce, cet, cette restent bien préservés. Selon lui, ce serait là un trait distinctif de cette variété.
Il y a très peu de différences entre les déterminants possessifs et ceux du français de référence. Notons simplement la prononciation sans /ʀ/ final de leur en position pré-consonantique : leur table [løtab]; en position pré-vocalique, on aura soit [lœʀ], soit [løz] : leur ami [lœʀami]/[løzami].
Les langues algonquiennes font systématiquement une distinction entre la possession « aliénable » et la possession « inaliénable »; dans celle-ci, on inclut les parties du corps, les termes de parenté et certains objets considérés comme étant des possessions importantes ou habituelles (sa maison, son poêle, son chien, sa pipe, etc.). Ceux-ci doivent toujours être accompagnés d'un déterminant possessif (toujours exprimé par un préfixe nominal). Le français mitchif semble avoir calqué cette construction puisque les substantifs exprimant une possession inaliénable prennent en général un déterminant possessif, le plus souvent au singulier : c'est un de mon oncle qui est avec un de son ami; ça, ici, c'est une aut' ma nièce, etc.
Une autre différence qu'affiche le français laurentien (et les variétés de l'Ouest canadien) est que le l du déterminant défini la ou les s'efface dans certains contextes très précis (on verra ci-dessous que cela s'applique également aux pronoms complément d'objet direct la ou les) : dans la rue [dɑ᷉aʀy] (qui peut même devenir [dɑ᷉ːʀy]), sur la table [syatab] (qui peut devenir [saːtab]), dans les arbres [dɑ᷉ezaʀb] (qui peut devenir [dæ᷉ːzaʀb]), donne-moi les livres [dɔnmweeliːv] (qui peut devenir [dɔnmweːliːv]), etc.
Les adjectifs dans les variétés de l'Ouest sont en général comme en français de référence. Notons simplement que quelques adjectifs ont une forme féminine distincte de celle en français de référence : « crute » ‘crue', « pourrite » ‘pourrie', « pointuse » ‘pointue', etc.