Le verbe et le groupe verbal

Selon Hallion Bres, 2006, p. 115[1] : « La morphosyntaxe du sous-système verbal se caractérise par plusieurs phénomènes qui sont bien attestés dans les [...] parlers [de l'Ouest] » (et en français laurentien en général).

• Un de ces aspects, surtout pour le niveau populaire ou vernaculaire, est la restructuration d'un certain nombre de radicaux verbaux, souvent une régularisation : ils allent (= ils vont), tu voiras (= verras), on renvoye (= renvoie); i'faut qu'i'soye (= soit); moi, je l'envoyerai jamais de même...; i'ont décidé que ça faulait (= fallait) que ça fasse que'que chose...; al'a toute peindu (= peint) ses robes en noir; j'ai li pas mal (= lu); quand même qu'on connaisserait (= connaitrait); i's'assisait (= s'asseyait); i'va s'assir (= s'asseoir); j'haïs(= hais) ça d'être traité comme immigrant...; etc. Aussi, la 3e personne du pluriel de certains verbes du premier groupe sont formés à partir du radical verbal auquel s'ajoute une consonne (assez souvent un /s/ ou un /z/) ( Hallion Bres, 2006, p. 115[1]), par exemple : i' continussent (= continuent); i'jousent (= jouent); i's'marissent (= se marient); i' faut que j'faise (= fasse)...; i'les tusent (= tuent) à coup de bâton; etc.

• En français mitchif surtout (mais le phénomène a également été soulevé pour le français d'Alberta par Rochet, 1993[2]), un certain nombre de verbes ont été ré-analysés, en incorporant le pronom en ou y : quand il s'est en-revenu...; je me suis en-venu; i'sont en-allés...; C'est en ville qu'i'vont y-aller; Quelle sorte de chainsaw (= tronçonneuse) t'en-servais ? etc.

• Les locuteurs des variétés de français de l'Ouest ont souvent tendance à ne pas employer correctement la préposition (surtout à et de) avec les verbes ou les constructions verbales qui exigent celle-ci avec leur complément. On aura donc se dépêcher à...; essayer à...; réussir de...; espérer de...; avoir l'air à...; avoir intérêt de..., etc.

• Les formes de 3e personne du pluriel de l'indicatif imparfait des verbes être et avoir sont formées de manière analogique à partir de la forme du présent de l'indicatif : sontaient (= étaient) et ontvaient (= avaient). La forme sontaient est attestée dans tous les parlers français d'Amérique du Nord, ainsi qu'en Belgique et en Afrique occidentale, alors que ontvaient est plus rare mais néanmoins attesté, même au Québec. En français mitchif, ces formes ont plus ou moins remplacé les formes de ‘référence', surtout lorsqu'elles agissent comme auxiliaire : mes parents, i's'ontvaient (= s'étaient) marié; c'est vrai qu'i'l'ontvaient (= avaient) une bonne tête, ces gens-là !

• Les variétés françaises de l'Ouest connaissent également l'emploi de plusieurs périphrases verbales aspectuelles et temporelles : être après + infinitif pour marquer l'aspect progressif de l'action (être en train de xxx) : i'est après travailler et être pour + infinitif pour marquer l'inceptif (être sur le point de xxx) : J'sus pas pour y donner ça! ou encore à l'imparfait pour exprimer des situations hypothétiques introduites par si, comme dans : Si j'étais pour lire un roman, ce serait probablement en anglais. En français laurentien, la forme périphrastique du futur (aller + infinitif) a remplacé le futur synthétique, du moins dans les propositions positives (car dans une proposition négative, c'est presque toujours le futur synthétique qui est utilisé : je vais partir vs je partirai pas). Pour cette construction, la forme du verbe aller à la 1e personne du singulier peut varier, selon le niveau de langue : je vais + infinitif est la forme de prestige (donc ‘standard'), je vas + infinitif est la forme la plus commune et m'as + infinitif est la forme la plus vernaculaire : m'as vous conter une autre affaire ‘je vais vous raconter autre chose' .

• Le français mitchif a développé la construction modale ça prend + proposition pour exprimer l'obligation : ça prend (= il faut que) tu penses à d'aut' là; Quoi-c'est ça prend (= faut-il) tu fais pour te faire renvoyer comme ça ? ‘Que faut-il que tu fasses pour te faire renvoyer comme ça ?'

• Toutes les variétés de l'Ouest canadien témoignent un usage restreint du mode subjonctif dans divers contextes, au profit de l'indicatif : i'faut que je le fais pour demain; i'voudront pas qu'on prend le dessus...; si on veut parler français, qu'on va au Québec !

• Un autre trait commun à toutes les variétés de l'Ouest canadien, et du français laurentien, en général est la tendance lourde à utiliser l'auxiliaire avoir dans tous les temps composés des verbes intransitifs de mouvement, des verbes de changement d'état et des verbes pronominaux : notre étable avait tombé là...; mes parents, i's'ontvaient marié...; autrement, on s'aurait faite écraser...; j'm'ai fait mal un peu à mon cou, mais c'était rien; quand j'ai arrivé au grand chemin...; etc.

• Une autre caractéristiques commune aux variétés de français parlées dans l'Ouest canadien (et aussi ailleurs en Amérique du Nord) est l'emploi des formes verbales du singulier avec un sujet à la 3e personne du pluriel : on va avoir besoin des gens qui veut communiquer avec eux-aut'; touT les Franco-Manitobains doit être fiers de leur langage; y a ben de leurs employés qui a parti; etc. Selon Mougeon et Beniak (1995)[3], ce serait en général des locuteurs dont le français n'est pas la langue dominante (les locuteurs restreints ou semi-restreints) qui ont recours à ces formes irrégulières, souvent (mais pas toujours!) des verbes à très basse fréquence d'usage. Le contraire est également attesté, c'est-à-dire que dans certains contextes, un sujet singulier, le plus souvent faisant référence à un collectif quelconque, peut prendre la forme pluriel du verbe : La police, i' sont venus; le monde sont contents...; la famille sont arrivés hier soir...; etc.

• Trait bien connu en français populaire, l'emploi du mode conditionnel plutôt que l'imparfait dans la protase (c'est-à-dire la subordonnée conditionnelle placée avant la principale, donc généralement après si) est également généralisé dans les français d'origine laurentienne : ...si la mère nous aurait poigné...; Qu'est-ce qui aurait arrivé si quelqu'un se serait fait mal ? Si tu mettrais le plat sur la table...; etc.

• La protase en si est souvent remplacée par l'infinitif (présent ou passé) : Avoir de l'argent, je t'en donnerais; Avoir su, je serais pas venu.

Remarque

Il existe également la forme fontsaient (= faisaient), mais celle-ci est plus rare. Douaud (1985, p. 80)[4] l'a relevée chez des locuteurs métis de l'Alberta, Papen (2004a)[5] la relève chez des locuteurs métis de la Saskatchewan et du Manitoba. Thogmartin (1974)[6] donne plutôt la forme fontssaient [fɔ᷉sɛ] dans le français de Vielles Mines au Missouri.

Complément

Hallion Bres (2006)[1] mentionne la présence variable de la préposition de ou à dans cette construction, du moins en français du Manitoba (deux petits enfants qui sont après à jouer). Elle note également l'emploi de la construction être à + infinitif pour marquer le progressif (ou le duratif) : Il était à charroyer là des sacs de sable.

Attention

L'orthographe de m'as est incertaine : m'as, alignée sur la 2e personne ou m'a, alignée sur la 3e personne.