Conclusion

Que peut-on conclure de ce que nous venons de voir ? Tout d'abord, retenons que l'alternance des formes j'vais/j'vas/m'as s'explique en termes de contraintes sociales et linguistiques :

i) j'vais étant la forme standard, elle est naturellement plus employée par les femmes et les locuteurs dont le niveau d'éducation est le plus élevé ;

ii) la forme m'as étant rarement employée, j'vas a perdu sa neutralité sociostylistique, pour devenir la variante vernaculaire principale ;

iii) l'usage de m'as est réservé aux locuteurs les moins éduqués. Par ailleurs, il est significativement plus employé au futur que dans un contexte habituatif.

L'approche variationniste, bien que particulièrement efficace pour dégager certaines tendances lourdes, doit cependant être appliquée rigoureusement, et il est nécessaire de procéder systématiquement à une analyse minutieuse de la répartition des occurrences, afin de ne pas surgénéraliser l'effet d'une variable indépendante. Dans le cas de cette étude, la répartition de m'as a révélé que 18 occurrences sur 19 avaient été produites par un seul locuteur, ce qui empêche, bien entendu, de surgénéraliser les résultats à une classe particulière de locuteurs.

Nous retiendrons également que les corrélations observées dans le corpus de français manitobain sont identiques à certaines soulignées dans les études de Mougeon, Beniak et Walli (1988)[1], Mougeon et Beniak (1991)[2], Mougeon (1996)[3] et Mougeon, Nadasdi et Rehner (2009)[4] sur le français parlé en Ontario. Il semble donc y avoir un lien de parenté évident entre le français manitobain et le français ontarien. Bien que le corpus de français manitobain ait été construit selon une méthodologie très différente de celle des corpus qui ont été examinés sur le français ontarien, l'approche variationniste a permis de dégager des points de convergences entre les deux variétés de français parlées en Ontario et au Manitoba. Nous verrons, dans la dernière étude consacrée à /tʊt/, que l'approche variationniste nous permettra de comparer davantage de corpus, et d'en tirer des conclusions plus larges sur la filiation des variétés de français laurentien.